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propagateur un membre de l’Académie. On parlait de la liberté de conscience. Encore une fois, la liberté ici consistait à voter pour ou contre, mais la liberté n’était pas le désarmement. Il ne fallait pas élever sur un piédestal celui qui avait pour le matérialisme et le positivisme, dont on avait vu les actes effrayans, des sympathies si accentuées.

On objectait que le matérialisme et le positivisme n’étaient pas en question ; que le positivisme élevait, il y a huit ans, son drapeau, mais qu’aujourd’hui, il n’était plus si haut et que tout danger avait disparu. D’ailleurs, M. Littré avait désavoué les opinions audacieuses qu’on lui avait prêtées. L’évêque répondit que M. Littré n’avait désavoué que deux choses. Il avait jadis imprimé qu’il fallait enlever à la France le droit de suffrage universel et le confier uniquement aux ouvriers de Paris, afin de faire de Paris seul le grand électeur. Cette opinion étrange de Comte, il y avait renoncé. Enfin, il avait écrit au sujet des renouvellemens partiels de l’Assemblée nationale que, si ces renouvellemens étaient dans le sens de l’idée monarchique, il faudrait bien y accéder. Sur des observations pressantes de ses amis, il avait écarté cette considération. Sauf ces deux points, M. Littré n’avait rien désavoué de ses anciennes doctrines. Dans la Revue qu’il dirigeait, la Philosophie positive, il continuait à être le chef de l’école matérialiste. Il rejetait l’idée de Dieu dont il faisait une fiction, une hypothèse. Il n’admettait comme existence suprême que l’Humanité et déclarait les sciences incompatibles avec les conceptions du surnaturalisme. L’Humanité était sa Providence à elle-même et pouvait seule réparer l’impuissance de Dieu.

L’évêque d’Orléans rappelait le Congrès de Liège où un jeune docteur, s’avouant le disciple de Comte et de Littré, s’était déclaré hautement matérialiste. Et, dans ce Congrès qui s’était terminé par les cris de : « Guerre à Dieu !… » avaient figuré des hommes qui, comme Fontaine, Tridon, Protot et autres, devaient faire partie de la Commune et mettre leurs détestables doctrines en pratique. Les tristes événemens de 1871 n’avaient pas ouvert les yeux à M. Littré, qui continuait sa propagande socialiste par la parole et par la presse.

On répondait à l’évêque d’Orléans que ces doctrines étaient certainement dangereuses et déplorables, mais que, dans une réunion d’élite telle que l’Académie, toutes les opinions pouvaient