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« Demander le silence est une égale impossibilité et la querelle sera effroyable. Je vous le disais hier, depuis deux ans, je m’occupe des énormités de M. Littré en même temps que des erreurs de quelques autres écrivains. Par une coïncidence qu’il ne m’a pas été possible d’empêcher, ce que j’ai fait est fait, est prêt, est imprimé : une délicatesse de mon respect pour l’Académie m’empêche seule de le publier à cette heure même.

« Mais pourrai-je me taire toujours ? Non ; ce que je ne dois pas, je ne le puis pas.

« Qu’un athée attaque la religion, cela peut se voir ; mais qu’un évêque n’attaque pas l’athéisme, nul ne le comprendrait, pas plus qu’on ne comprendra qu’une assemblée le couronne publiquement. Quoi ! M. Littré n’aurait pas osé envoyer des livres à aucun de vos concours, et vous allez donner le prix, une couronne, une tribune à leur auteur 1 Ma situation est peu de chose en tout ceci ; mais enfin, en ce moment, elle n’est pas tenable. Si je parle avant l’élection, j’ai l’air de prévenir le vote ; si je parle après, j’ai l’air de le réprouver et plusieurs me diront avec raison : « Pourquoi ne nous avez-vous pas avertis ? »

« Qu’on me dise quelle peut être pour moi la situation possible. Car il ne faut pas se faire d’illusion : c’est la guerre avec l’Église ; et sur le plus mauvais terrain qu’on pût choisir. Car la France n’est pas athée ; ce n’est pas seulement sa foi, c’est le bon sens et l’honnêteté de l’esprit français qui ne lui permet pas d’accepter qu’on couronne un homme qui attaque l’existence de Dieu et de l’âme, et qui se fait de Jésus-Christ un mythe ridicule.

« Vous me parliez hier du caractère et des qualités de M. Littré. Sur ce point, je ne me suis pas permis une contradiction. Je vous ai même dit qu’après avoir lu et étudié ses livres, à la différence des autres écrivains dont je m’occupe, je n’y ai pas trouvé une trace de méchanceté, mais, dans l’aveuglement et le prosélytisme opiniâtres d’un esprit concentré sur ses idées fixes, des aberrations philosophiques, religieuses et sociales telles qu’il m’est impossible de croire qu’un siège à l’Académie française puisse en être la place. Mais ici je dois dire quelque chose de plus sérieux encore, et laissez-moi le dire, c’est à l’âme, à la conscience que je connais que je m’adresse : ce sur quoi je ne puis parvenir à apaiser ma pensée, c’est que l’Académie française puisse élever sur le pavois le Dictionnaire des Sciences