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scandale. C’était donc chose aussi inopportune qu’inutile.

Mgr Dupanloup ne se rendit pas à ces raisons développées avec émotion par un ami sincère. Qui oserait s’élever contre des doctrines dangereuses pour la religion, la morale et l’État, si un évêque gardait le silence ? Il y avait là pour lui un devoir impérieux de conscience et d’honneur. A ses yeux, la raison et la foi étaient vraiment menacées. Il avait, en termes vigoureux et précis, relevé dans sa brochure tous les sophismes dirigés contre les vérités nécessaires et les principes fondamentaux de toute société. Il la soumit, revue et corrigée, à Augustin Cochin qui la trouva noble, belle et péremptoire, mais persista à lui demander d’en ajourner la publication après l’élection qui lui semblait inévitable. L’évêque n’empêcherait pas Littré d’être élu et son travail aurait l’air de n’avoir été fait que pour s’opposer à cette élection. Mgr Dupanloup consulta Berryer ; celui-ci fut de l’avis de Cochin. Pour lui, la publication avant l’élection était une manœuvre impuissante et tardive. « Après l’élection au contraire, elle constituerait un blâme solennel, un acte d’évêque, un garde-à-vous sur des noms plus dangereux. » Ne se contentant pas de cet avis, l’évêque d’Orléans interrogea Victor Cousin.

Suivant les renseignemens donnés par l’abbé Lagrange, le mieux informé des biographes de Mgr Dupanloup, Victor Cousin vint au domicile de l’évêque, rue Monsieur, et se rangea aussitôt à son avis. Il fallait publier l’Avertissement au plus vite. L’intérêt de la religion, comme celui de la philosophie, l’exigeait. Victor Cousin ne pardonnait pas à la nouvelle école matérialiste ses critiques amères contre le spiritualisme. Il se souvenait des railleries dirigées contre lui, aussi bien que contre Royer-Collard, et du dédain qu’avait suscité chez les novateurs son livre du Vrai, du Bien et du Beau. La doctrine de l’École spiritualiste était traitée de vieille logique, composée de pièces disparates, machine discordante dont Descartes et Pascal avaient fourni les rouages rouillés et qui ne pouvait plus servir qu’à des esprits empêtrés dans la syllogistique du moyen âge. La . métaphysique de Platon, Malebranche, Bossuet, Fénelon pouvait faire illusion seulement à des esprits novices. C’était peut-être quelque chose de recommandable comme histoire ; cela n’existait pas sérieusement comme science.

Mgr Dupanloup fut très flatté de l’approbation de Cousin et