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vie honnête et pure, ses intentions loyales, il était effrayé du mal que ses écrits pouvaient causer aussi bien parmi les étudians en lettres que parmi les étudians en médecine, les gens du monde et même la classe ouvrière. Il constatait avec un sincère émoi, depuis de nombreuses années, le décri des vérités premières et l’abandon des mœurs traditionnelles en France, et il s’en inquiétait comme devait le faire un évoque tout entier à ses devoirs de Père et Pasteur des fidèles. Aussi, lorsqu’il apprit la candidature académique de Littré, fut-il profondément ému. Il manifesta ses craintes à ses amis et résolut de la combattre, car, si elle triomphait, elle apparaîtrait, d’après lui, au grand public comme l’approbation des idées mêmes de l’auteur. Il avait extrait des œuvres de Littré des citations importantes qui lui paraissaient de nature à impressionner ses confrères de l’Académie et il pensait qu’elles les détermineraient à ne point voter en faveur du savant. Il soutenait que c’était pour lui une obligation d’entreprendre cette campagne, d’autant plus que la plupart de ceux qui louaient la science de Littré n’étaient guère renseignés sur le matérialisme de l’auteur.

Il informa Augustin Cochin, un de ses intimes, de son dessein de publier une brochure destinée à combattre les attaques dirigées contre la Religion et, pour ne pas avoir l’air de lancer ses foudres contre un seul écrivain et en faire une attaque tout à fait personnelle, il comprit dans ses sévères critiques certaines œuvres analogues de Taine, Maury et Renan qui lui paraissaient aussi néfastes pour l’Eglise et la société. Mis au courant d’une décision qui semblait inébranlable, Augustin Cochin s’inquiéta des effets qu’elle produirait à l’Académie et s’en ouvrit franchement à Mgr Dupanloup. Il lui dit que la candidature de Littré était très fortement appuyée et qu’au nombre de ses défenseurs figurait M. Thiers, un des plus ardens. Suivant ce dernier, il ne fallait pas rompre le pacte de tolérance dont l’Académie française était la représentation vivante. Le candidat choisi n’était-il pas l’homme le plus utile pour collaborer au Dictionnaire ? La dignité de sa vie devait le mettre à l’abri de toute attaque. Comment avait-on à son égard pour lui des scrupules qu’on n’avait pas eus pour des vaudevillistes libertins ? On pouvait évidemment voter contre lui, car toutes les opinions étaient libres, mais il fallait éviter le bruit et le