Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 44.djvu/386

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de rue » prêchaient la rébellion contre l’envoi de troupes en France, invectivaient les hommes publics et déblatéraient en bloc contre le régime américain, dont leurs injures mêmes attestaient la mansuétude, puisqu’il n’y a pas un autre pays au monde où l’on en pourrait user ainsi. A la fin, une libre « Société de Vigilans » se mit en devoir de tenir tête à ces discoureurs « boites-à-savon, » — soap-box orators, — comme on les nomme là-bas ; au prix de maints horions ces rassemblemens, qui groupaient parfois jusqu’à 5 000 personnes, furent brisés et quelques amendes judicieusement distribuées calmèrent les instigateurs.

Telles furent à peu près les seules notes discordantes, bien rares et négligeables en vérité, dans ce concert des volontés américaines, tendues vers un but héroïque. Je ne parle pas des pétitions d’Allemands qui, pour faire échec à la loi, demandaient qu’elle fût soumise à un référendum, — ceux-là étaient dans leur rôle, — ni des poursuites pour exemptions frauduleuses de service, obtenues par des connivences payées ; nous en avons réprimé de toutes pareilles en France. La loi militaire des États-Unis est beaucoup plus rude que la nôtre pour les étrangers. Chez nous, les neutres continuent à jouir sans trouble de notre hospitalité et les ennemis sont simplement internés ; en Amérique, les sujets de l’Entente et les neutres mêmes qui ont un an de résidence, sont soumis à la conscription comme les nationaux ; s’ils refusent de se laisser enrôler après avoir été reconnus bons pour le service, ils sont réexpédiés à leurs pays respectifs dans les trois mois. Quant aux sujets ennemis, ils sont utilisés dans des services non militaires, ou plutôt dans les organisations non combattantes de l’armée.

Pendant que ces 9 650 000 hommes, dont 1 230 000 étrangers, de vingt à trente et un ans, portés sur les listes de la conscription, passaient l’examen médical d’aptitude physique devant des conseils de révision, seize grands cantonnemens étaient organisés, dans chacun desquels 40 000 hommes reçoivent l’instruction militaire avant d’être transportés en Europe. La construction de chacune de ces villes temporaires en bois a exige 46 millions de mètres carrés de planches ou de madriers, soit la charge de 25 000 wagons de 50 tonnes, sans parler de la toiture en carton bitumé et des autres accessoires. Dès le milieu de novembre, l’effectif de ces camps était au complet et se