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cargos chargés de troupes et de munitions, que guette la torpille du « roi d’Allemagne » voleur du Brabant.

Il était dans la destinée historique de la Belgique qu’après avoir été au XVIe siècle, au temps où le duc d’Albe ensanglantait ses villes, la première en Europe à secouer le joug de l’épée mauvaise et de l’étranger, elle eût au XXe siècle ce tragique honneur, victime du dernier brigandage militaire, d’être l’hostie du droit futur en qui communient présentement toutes les nations libres de l’univers. Bien qu’il semble dérisoire de parler du « progrès » moderne, au moment où, précisément, les humains les plus progressifs de la planète s’égorgent par millions, nous mesurons pourtant la marche des idées en un demi-siècle : depuis la façon placide dont le monde enregistrait en 1870, comme une vérité banale, la constatation de Bismarck que « la force prime le droit, » jusqu’à l’indignation universelle qui accueillit en 1914 le mot identique de Bethmann-Hollweg.

Baigné dans l’ambiance berlinoise où survit la religion de la force, le chancelier avait exprimé naïvement ce que l’on pensait autour de lui ; il n’avait pas pris garde, il ne s’était même pas rendu compte qu’il retardait, qu’il proférait un anachronisme et que, sur ce « chiffon de papier, » bafoué à la porte de Brandebourg devant le Reichstag, allait être signée à Washington et à Tokyo l’alliance inattendue de l’Amérique et de l’Asie contre Berlin : « The yellow peril was made in Germany, — le péril jaune avait été fabriqué en Allemagne, » disait aux sénateurs américains le vicomte Ishii, chef de la mission japonaise, le 30 août dernier, lors de la réception qui lui était faite au Capitole.« Le péril que crée notre alliance contre les Puissances centrales d’Europe, poursuivait-il, ne porte pas de couleur ; il n’est dangereux que pour les organisateurs de force arbitraire et de militarisme despotique. Nous ne sommes pas entrés en guerre pour la satisfaction d’intérêts égoïstes. Vous, Américains, et nous. Japonais, nous avons pris les armes contre l’Allemagne parce qu’un traité solennel n’était pas pour nous un chiffon de papier. »

Combien de temps durera la lutte, et, suivant le mot du poète, « de quoi demain sera-t-il fait ? » L’histoire d’hier est destinée à couvrir de confusion les prophètes contemporains ; toutes leurs prédictions se sont trouvées fausses depuis trois ans et demi ; des deux côtés de la tranchée, les événemens n’ont cessé