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mais il le serait davantage si, dans les propos de Nicolas Ier, dans ses pleurs, ses soupirs et ses gestes, nous n’étions pas tentés de soupçonner une part de mise en scène et de comédie, destinée à émouvoir les spectateurs et à les ramener dans le devoir sans user de rigueur. En tout cas, il n’y avait pas réussi. Le lendemain, les troubles se renouvelèrent ; des Polonais ou soi-disant tels furent massacrés, et l’ordre ne revint que lorsque le général Orlof eut été chargé de le rétablir. Quant à l’Empereur, après deux ou trois nouvelles et rapides apparitions à travers la capitale, en compagnie d’un aide de camp et de son médecin de confiance, il rentrait à Peterhof où il continua à se rendre inaccessible sous la protection du cordon sanitaire formé autour du palais.

Au cours de ces péripéties, le corps diplomatique avait été abandonné à lui-même, ce qui n’était pas sans danger dans une ville menacée de pillage et où les autorités, écrit un témoin, avaient perdu la tête. Le trait suivant permet de se figurer leur désarroi. Un domestique de l’ambassade de France ayant succombé, l’ambassadeur avait demandé un cercueil à la police. « Jetez votre mort dans la Neva, lui fit-elle dire ; si vous exigez un cercueil, la police ne répond de rien. »

Ce qui était plus grave, c’est que les négociations relatives à la Pologne avaient été suspendues ; les appels à la clémence adressés au tsar par la France et l’Angleterre ne recevaient pas de réponse, alors que l’écrasement de l’insurrection étant devenu inévitable par suite de la marche victorieuse de l’armée russe sur Varsovie, les deux puissances avaient hâte de connaître les intentions du cabinet de Saint-Pétersbourg. Poussés à bout par le silence qu’il s’obstinait à garder envers eux, les ambassadeurs))rirent une résolution énergique. Mortemart écrivit en leur nom à Nesselrode pour lui demander une audience, en ajoutant que, si elle lui était refusée, le corps diplomatique quitterait la capitale où sa présence était inutile, puisqu’il ne pouvait voir ni l’Empereur ni ses ministres. La menace produisit l’effet qu’on en attendait. Mortemart fat prévenu que le chancelier le recevrait le jour suivant au palais d’Yélagine. C’est là qu’ils se virent, non dans le palais, mais en plein air, séparés l’un de l’autre par une allée des jardins, gardée militairement comme cordon sanitaire. En son nom et au nom de son collègue anglais, l’ambassadeur