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d’en soupçonner la gravité et d’y voir autre chose qu’une émeute, l’Empereur parle de l’événement avec plus de tristesse que de colère, mais en en parlant, il s’excite et, lorsque la vérité lui est révélée, il donne libre cours à son irritation. Le discours qu’il tient au général de Sainte-Aldegonde dans l’audience dont nous avons parlé ci-dessus marque la marche ascendante de son irritation, il craint qu’en France on ne comprenne mal la cause polonaise, et que l’appel fait aux sentimens et aux souvenirs des Français ne retentisse dans ce pays de manière à compliquer cette question et à exalter les espérances de ses sujets révoltés.

« Un sentiment de nationalité ne peut qu’être honorable, avoue-t-il, et je suis loin d’en vouloir aux Polonais de désirer le rétablissement de ce qui constituait leur patrie aux plus beaux temps de leur histoire ; mais la réalisation de cette idée n’est qu’un rêve glorieux, d’une exécution impossible et propre à précipiter leur pays dans des malheurs effroyables. Comment, dans leur chimérique espoir, les Polonais croient-ils pouvoir déterminer les autres Puissances à faire le sacrifice des provinces acquises par des traités ? Lors même que je consentirais à détacher de l’Empire ce qui leur a appartenu, et si je le tentais, ma famille et moi disparaîtrions dans une tempête. Trois millions d’hommes enclavés entre l’Autriche, la Prusse et la Russie peuvent-ils opérer ce prodige ?

« Leur position comme peuple est malheureuse, j’en conviens ; mais qu’on ouvre leur histoire et qu’on voie si jamais peuple fut plus ennemi que les Polonais de sa propre indépendance. Après la guerre de 1814, mon frère Alexandre a trouvé la Pologne n’ayant pas même de nom, épuisée d’hommes et d’argent pour une cause qui n’était pas la sienne. L’empereur Alexandre a rendu aux Polonais leur nationalité, il leur a donné des institutions que n’avaient pas même ses peuples. Il a créé pour eux un bonheur matériel positif qu’atteste l’état du pays, et il a poussé la générosité jusqu’à les armer, en excluant tous les Russes de leurs rangs et de leur administration. Pas un denier n’a été distrait des caisses de Pologne pour des intérêts russes. Tout enfin a été fait pour les rendre heureux, en ménageant, en toute circonstance, leur amour-propre national.

« J’ai constamment cherché à réformer chez eux les abus inséparables de toute institution humaine ; dans mes différens