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terminées, il fit son droit sans application, persuadé, à l’égal de tous ses contemporains, qu’il ne pouvait mieux employer ses heures qu’en les consacrant à l’équitation, à l’escrime et à la danse, il se demande, ainsi que nous le faisions tout à l’heure, comment ont pu sortir « d’un enseignement si incomplet, des hommes qui, dans toutes les carrières, ont rempli des postes importans avec éclat en des temps particulièrement difficiles. » Par une raison très simple : la vie des affaires commençait beaucoup plus tôt qu’aujourd’hui : à quinze ans on entrait dans l’armée ; à quatorze ans dans la marine, et les officiers de ce corps passaient pour les plus instruits de l’Europe. On était, à vingt ans, conseiller au Parlement ; on avait voix délibérative à vingt-cinq. Dans l’administration, aucune règle n’était prescrite pour l’âge, et, généralement, cet âge était très précoce. On ne pouvait imposer à des candidats si jeunes des examens aussi ardus que ceux dont on barricade l’entrée des carrières devant ceux qui s’y présentent après leur majorité accomplie : d’où Pasquier conclut que « l’on serait fondé à dire que Vauban n’eût pas été en état de satisfaire à l’examen que doit subir pour y être admis un aspirant à l’École polytechnique. »

Pasquier poursuit de la sorte : « Il y a deux éducations : la première est le produit des études classiques ou spéciales ; mais après celle-là vient l’autre qui résulte du milieu dans lequel le jeune homme vit à sa sortie de l’école, des exemples, des impressions, des traditions qu’il reçoit. De nos jours, cette seconde instruction a perdu la plus grande partie de sa valeur et de sa puissance. Celui qui entre dans le monde à vingt-deux ou vingt-trois ans croit n’avoir plus rien à apprendre : il a, le plus souvent, une confiance absolue en lui-même et un profond dédain pour tout ce qui ne partage pas les opinions qu’il s’est déjà faites. Il en était autrement sous le régime précédent : la jeunesse entrait avec timidité dans le monde qui, de si bonne heure, lui était ouvert ; elle ne pouvait se dissimuler son insuffisance ; la société parmi laquelle il fallait se percer une route était spirituelle, distinguée, solidement établie sur une hiérarchie immuable et consacrée par le temps ; on y était né, il y fallait vivre, on y devait mourir[1]. » De là l’obligation de s’en montrer digne. Et ce futur chancelier confesse quels sont d’abord

  1. Histoire de mon temps. Mémoires du chancelier Pasquier, I, 16 et suiv.