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Noyers[1]. » L’ancien régime réputé si tyrannique et si odieusement jaloux d’éteindre toute lumière, qu’on a été obligé d’inventer le mot obscurantisme pour qualifier dignement son goût volontaire de l’ignorance, cet ancien régime s’applique, comme à plaisir, à façonner des républicains. Norvins, cité plus haut, sort du collège à seize ans, emportant le souvenir d’une institution toute démocratique, et Camille Desmoulins jette l’effroi dans sa petite ville de Guise, dont les habitans se voient déjà à la Bastille pour l’avoir entendu, un jour de vacances, réciter les leçons incendiaires qu’il apprend à Louis-le-Grand[2]. Et Mercier, goguenard, reprend : « C’est pourtant dans une monarchie qu’on entretient perpétuellement les jeunes gens de ces idées étrangères… et c’est un roi absolu qui paye des professeurs pour vous expliquer gravement toutes les éloquentes déclamations lancées contre le pouvoir des rois ; de sorte qu’un élève de l’Université, quand il se retrouve à Versailles et qu’il a un peu de bon sens, songe malgré lui à tous les fiers ennemis de la royauté : il lui faut du temps pour se familiariser avec un pays qui n’a ni tribuns, ni décemvirs, ni sénateurs, ni consuls[3]. » Au reste, Robespierre l’avouera plus tard : « Les collèges, dira-t-il le 18 juin 1793, ont été des pépinières de républicains. »

Aussi n’est-ce pas sans étonnement qu’on entendra, en cette même année 1793, les auteurs de la pétition présentée à la Convention au nom des autorités et du peuple de Paris, affirmer, dans un jargon alors nouveau, mais que les professions de foi des candidats au mandat législatif nous ont rendu depuis trop familier, que « tous les collèges sont voués à la barbarie du moyen âge, » qu’ils sont « le repaire des préjugés entassés depuis des siècles, et tel est le vice de leur organisation qu’on en sort avec l’ignorance acquise, » ce qui n’était point flatteur à entendre pour tous ces députés auxquels on s’adressait et qui, pour la majorité, élevés gratuitement en ces collèges tant décriés, demeuraient cependant bien convaincus de leur savoir et ne professaient pas la timidité de l’ignorance. C’est le même esprit d’ingratitude qui dictera à Daunou son rapport du 23 vendémiaire an IV, où il traitera les anciens

  1. Tableau de Paris, I, 256.
  2. Édouard Fleury, Camille Desmoulins.
  3. Tableau de Paris, loc. cit.