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pour eux, aveuglés et flattés qu’ils sont de leur faux embonpoint ; » tandis que, d’après le même penseur, « en apprenant le latin à un enfant, on lui apprend à être juge, avocat, homme d’État. L’histoire de Rome, même celle de ses conquêtes, enseigne à la jeunesse la fermeté, la justice, la modération, l’amour de la Patrie. Les actions et les mots, les discours et les exemples, tout concourt dans les livres latins à former des hommes publics ; ces livres suffiraient pour apprendre au magistrat quels sont ses devoirs et quels doivent être ses mœurs, ses talens et ses travaux[1]. » C’est à l’envahissement de l’industrialisme qu’est due la progressive extension de l’étude des sciences exactes ; au XVIIIe siècle, ce néologisme et l’état d’esprit qu’il désigne étaient également inconnus : ignorance enviable ! Nous subissons l’expérience que les progrès scientifiques « ne suffisent pas à transformer la terre en un paradis, mais peuvent fort bien, dans des mains criminelles, la transformer en un chaos et en un enfer[2]. » Donc, pour nos prudens aïeux, rien que des « belles-lettres, » et point autres que celles de l’antiquité : « le programme tout entier circonscrit dans les limites des histoires grecque et romaine et dans celle du vieux monde asiatique et égyptien. » On pénètre Hérodote, Quinte-Curce, Tacite, Horace, Virgile, Homère, même Lucain ; on rêve d’Hector, de Brutus, de Tarquin, d’Achille, de Cassius, de Pompée, d’Annibal, d’Ulysse, et leurs belles aventures sont lentement ressassées jusqu’au rabâchage ; car c’est encore un axiome des vieux pédagogues que « l’esprit des enfans ne s’intéresse pas à ce qu’il ne fait qu’effleurer : il n’aime avec ardeur que ce qu’il embrasse pleinement. » La fréquentation de tous ces héros à casque et à glaive a pour effet immanquable d’inspirer à leurs jeunes admirateurs l’amour des grands exploits et la haine des tyrans : « Il est sûr, remarque Mercier, qu’on rapporte de l’étude du latin un certain goût pour la république et qu’on voudrait pouvoir ressusciter celle dont on lit la grande et vaste histoire : il est sûr qu’en entendant parler du Sénat, de la liberté, de la majesté du peuple romain, de ses victoires, de la juste mort de César, du poignard de Caton qui ne put survivre à la destruction des lois, il en coûte pour sortir de Rome et pour se retrouver bourgeois de la rue des

  1. Joubert, Pensées, édition Perrin, 242-243.
  2. Antonin Eymieu, La Providence et la guerre, p. 308.