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exclusive des idées d’utilité ne convient ni aux âmes nobles, ni aux hommes libres, » étaient en outre persuadés que, pour conserver intactes les qualités de naturel, d’aisance et de grâce qui faisaient la supériorité de notre nation, il ne faut point mettre à la gêne l’esprit des jeunes Français et que « tout ce qui le guinde lui nuit. » Mercier même prétendait que a la direction, en ce genre, abâtardit beaucoup plus qu’elle n’élève[1] ; » et, comme l’étude des lettres anciennes passait pour être « une source d’enthousiasme, » on se félicitait lorsqu’un adolescent, ses classes terminées, connaissait parfaitement Homère, Virgile, Tacite, Horace, Tite-Live et Cicéron, et savait versifier facilement en latin ; tout le reste passait pour superflu. Si l’on ajoute que la « méthode attrayante » déjà préconisée par Platon, par saint Jérôme, par Érasme, par Montaigne et par Fénelon, avait été mise en honneur et en pratique par Mme de Maintenon, grande éducatrice, qui s’ingéniait" à réjouir l’éducation de ses élèves[2], » ainsi que par les Pères Jésuites, réputés maîtres en ces matières et dont la maxime était « qu’il faut faire du travail un amusement et de l’obéissance un plaisir[3], » on reconnaîtra que le chemin par où l’on conduisait alors les écoliers était facile et riant d’aspect : chacun y pouvait s’attarder ou presser le pas pour cueillir la fleur qui lui plaisait et choisir le détour qui semblait être le plus conforme à ses goûts et à ses forces. Une si agréable et libre promenade développait les personnalités, autant que les compriment et les étouffent l’entassement et la poussée en masse sur le rail des redoutables programmes uniformément imposés à nos enfans.

Dans les vingt années qui précédèrent la Révolution, époque à laquelle il faut se fixer pour connaître ce qu’était la France telle que l’avaient faite dix siècles de tradition prudemment respectée, nul système : les parens élèvent leurs fils et leurs filles comme il leur convient ; dans la noblesse et dans la bourgeoisie, on a le choix entre le collège, le préceptorat et les pensions particulières. Celles-ci sont nombreuses à Paris : j’en compte, en 1787, plus de vingt, presque toutes situées dans les faubourgs, « dont l’air est très salubre, » affirment la

  1. Mercier, Le nouveau Paris, VI, 31.
  2. Lettres et entretiens, I, 34.
  3. Quicherat, Histoire du Collège Sainte-Barbe, II, 60.