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les plus grandes difficultés que jamais hommes aient eu à résoudre ; ils avaient, en quelque sorte, à fonder un monde, et ils y ont réussi en un tournemain, sans qu’aucun d’eux ait pu prévoir le sort qui les guettait tous, sans qu’aucun s’y fut préparé.

Faut-il croire que le peuple de notre France est si opulemment doué qu’il suffit de s’en remettre au hasard pour rencontrer parmi ses enfans de toutes les classes des administrateurs parfaits ou des stratèges émérites ? Ou bien doit-on penser que l’instruction reçue, en ce temps-là, dès le collège, par ces futurs rénovateurs de la société, avait été si solide et si étendue qu’ils se trouvaient aptes à tous les rôles et possédaient d’avance un savoir et des lumières qui leur rendirent aisée la tâche imprévue ? Cette question, quoique d’intérêt rétrospectif, n’est cependant pas sans un semblant d’actualité : ceux qui, avec une vaillance si obstinée, combattent depuis plus de trois ans pour notre indépendance, seront en droit d’exiger, au retour, après la victoire, une existence améliorée ; ils la réclameront et n’admettront pas qu’on la leur marchande. C’est, une fois de plus, un état social à renouveler, et certains esprits moroses, réfractaires à l’illusion, proclament déjà que la chose n’ira point sans traverses et qu’on pénètre dans l’inextricable. Gens de peu de foi en la féconde ingéniosité de la France, sortie déjà de bien d’autres labyrinthes. Mais sommes-nous suffisamment préparés à un pareil labeur ? Notre génération qui devra le mener à bien a-t-elle, comme celle de 1789, les connaissances indispensables à l’accomplissement d’un si lourd devoir ? Qu’avaient appris nos pères de plus que nous, et d’où tiraient-ils tant d’assurance, de « dispositions » et d’autorité ? La plus sûre façon de nous en informer est de les interroger eux-mêmes et de glaner dans l’histoire de leur vie les souvenirs de « leurs années d’apprentissage. »


Qu’enseignait-on aux enfans et aux jeunes gens à l’époque de l’ancien régime, alors que la sage prévoyance de nos pères, fondée sur une lointaine tradition, appréhendait autant le pédantisme que l’ignorance ? On leur enseignait « à vivre, » programme d’études qui paraît bien superficiel en comparaison de celui dont sont écrasés nos écoliers d’aujourd’hui. Les pédagogues de ce temps-là, fidèles au précepte d’Aristote professant que « la préoccupation