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ou plutôt l’impuissance bolcheviste. Au Nord, elles ont marqué un mouvement sur Dvinsk jusqu’à la Dvina. Plus au Sud, elles descendirent de Kovel vers Loutsk. Ce fut pour elles une promenade ; elles ne rencontrèrent personne et ne se heurtèrent à rien. Le vide même de l’immensité russe ne leur fut pas hostile, comme, en d’autres temps, il le fut à d’autres. La marche sur Loutsk avait du reste été précédée d’une certaine mise en scène ; l’Allemagne n’avait pas tardé à faire valoir le titre qu’elle tenait de ses arrangemens avec la Rada de Kieff. Elle s’était ébranlée, disait-elle, « appelée par l’Oukraine, pour lui porter secours dans sa lutte pénible contre les Grands-Russes. » Elle était par là restaurée en sa véritable figure, dans le rôle, qu’elle interprète si bien, de protectrice des faibles. L’aide qu’on implorait d’elle sur le Dnieper, on l’implorait aussi sur la Baltique. Le cri des barons baffes s’élevait vers la Germanie maternelle, du fond des geôles de Cronstadt où les maximalistes les avaient enfermés. Son devoir était d’intervenir rapidement en Livonie et en Esthonie, ainsi qu’elle intervenait en Oukraine ; elle y manquerait d’autant moins que la Livonie et l’Esthonie lui ouvraient le chemin de Petrograd, ce chemin le long delà mer par laquelle ses colonnes pourraient être ravitaillées.

Mais ce ne sera pas la peine ; en une étape, par la seule route de Dvinsk, elle est arrivée à son but. L’ombre de son bras redoutable ne s’était pas encore tout entière projetée sur le mur de l’Institut Smolny que « le président du Soviet, Oulianoff-Lenine, » et « le commissaire du peuple pour les Affaires étrangères, Léon Trotsky, » se précipitaient au télégraphe. Et leur prose s’aplatissait au niveau de leur échine, elle-même courbée au niveau de leur âme. Après une vaine querelle de procédure sur l’absence d’avertissement : « Le Soviet des Commissaires du peuple, gémissaient-ils, se voit dans l’obligation créée par les circonstances de déclarer qu’il consent à souscrire aux conditions qui avaient été proposées par les délégués delà Quadruple-Alliance à Brest-Litovsk. » Puis, plus docilement, plus servilement encore, comme s’ils avaient peur de ne pas s’humilier assez bas ni assez vite : « Le Soviet des Commissaires du peuple déclare que la réponse aux conditions précises de paix émises par le gouvernement allemand sera donnée incessamment. »

Ainsi, ce sont « les circonstances » qui ont « créé l’obligation » de « souscrire aux conditions » de la Quadruple-Alliance. Et l’on pourrait demander à Lénine et à Trotsky qui a « créé les circonstances ; » mais leur empressement misérable à embrasser les genoux, à se rouler aux pieds de l’Allemagne dans la poussière et dans la boue