Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 44.djvu/220

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

objective. Lemaître s’étant déclaré l’ennemi de la doctrine, la doctrine de Brunetière l’importunait : il ne pouvait opposer une doctrine à une autre, sous peine de manquer à son vœu. Brunetière l’attaquait selon les règles de la stratégie ; et lui harcelait l’assaillant. En guise de préface pour la sixième série des Contemporains, il a groupé quelques-unes de ses reparties. La première est du 4 novembre 1889 : « Il y a, dans une Revue illustre, un écrivain que je respecte et que j’admire infiniment. Depuis quelque temps, il ne peut plus écrire une page sans marquer son dédain et son antipathie pour ce qu’il appelle la littérature et la critique personnelles... Au fait, est-ce que ce ne serait pas de la littérature personnelle, l’expression si fréquente et si véhémente de cette antipathie ?.., » Après cela, Lemaître vante les « excellentes raisons » de « ce grand dialecticien. » Puis il feint de se replier en désordre : « Et chaque fois, bien qu’il n’ait peut-être nullement pensé à moi, je prends cela pour moi ; je m’humilie, je rentre en moi-même… afin d’apprendre à en sortir, ou à faire semblant... Oui, je songe quelquefois à me corriger..., » Voyez un peu : « Il me semble que cela ne serait pas très difficile : Je vous assure que je pourrais, comme un autre, juger par principes et non par impressions. On me traite d’esprit ondoyant. Je serais fixe, si je le voulais : je serais capable de juger les œuvres, au lieu d’analyser l’impression que j’en reçois ; je serais capable d’appuyer mes jugemens sur des principes généraux d’esthétique ; bref, de faire de la critique, peut-être médiocre, mais qui serait bien de la critique. » Trois ans plus tard, au mois de septembre 1892, la querelle continue. Mais Lemaître passe de la défensive adroite à l’offensive presque un peu rude : « M. Brunetière est incapable, ce semble, de considérer une œuvre, quelle qu’elle soit, grande ou petite, sinon dans ses rapports avec un groupe d’autres œuvres, dont la relation avec d’autres groupes, à travers le temps et l’espace, lui apparaît immédiatement ; et ainsi de suite. Toute une philosophie de l’histoire littéraire et, à la fois, toute une esthétique et toute une éthique sont visiblement impliquées dans les moindres de ses jugemens. Don merveilleux !... Mais en voici le rachat. Juger toujours, c’est peut-être ne jamais jouir. Je ne serais pas étonné que M. Brunetière fût devenu réellement incapable de lire pour son plaisir. Là est notre revanche à nous. Cela nous est égal de nous tromper en aimant ce qui nous plaît ou nous amuse, et d’avoir à sourire demain de nos admirations d’aujourd’hui. Consentant au plaisir, nous consentons à l’erreur... » Un peu plus tard, au mois de janvier 1893,