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les conversations amicales que devait avoir à Copenhague l’empereur Guillaume et dont le but était de mettre le Danemark du côté de l’Allemagne et de la Russie en cas d’une agression anglaise. Tous les télégrammes précédens et suivans sont signés du Kaiser et « il en résulte clairement, » comme le fait si judicieusement ressortir dans son interview M. Isvolsky, « que le Tsar s’est efforcé de retirer de son côté la promesse si malheureusement donnée à Bjoerkoe. » Dès septembre 1905 Guillaume II en était arrivé à insister emphatiquement auprès de Nicolas II sur l’inviolabilité de l’arrangement de Bjoerkoe : « Nous nous sommes donné les mains devant Dieu qui a entendu notre serment. Ce qui est signé est signé. Dieu est notre témoin. » Autrement dit, à cette époque l’empereur de Russie avait déjà prévenu son partenaire qu’il ne se considérait plus comme lié par un pacte dont il n’avait pas compris au premier moment toute la portée et dont il n’avait pas pesé toutes les conséquences.

Une fois de plus, la politique prime-sautière de l’empereur Guillaume, en voulant arriver trop vite et d’un coup à des résultats qui eussent requis une longue et patiente préparation, aboutit à un échec et amena des effets tout à fait contraires aux desseins proposés. L’empereur Nicolas II, humilié de s’être laissé arracher une signature que sa conscience lui commanda ensuite de rétracter, en ressentit un profond dépit qui se tourna contre l’auteur de la surprise de Bjoerkoe. Dès ce jour, il fut plus enclin à orienter sa politique du côté de l’Angleterre et accueillit avec une satisfaction toujours croissante les avances discrètes que lui faisait dans ce même temps le roi Edouard et dont le premier témoignage fut le coup de main efficace que le roi prêta personnellement à la Russie dans le moment décisif des pourparlers de paix avec le Japon. Quant au comte Lamsdorf, blessé à si juste titre d’avoir été exclu d’une entrevue et d’un arrangement d’une aussi haute gravité, il attribua cette exclusion à l’initiative de Guillaume II et se mit dès lors plus que jamais en défiance contre tout ce qui venait de Berlin. Sa correspondance avec Benckendorff et Nélidoff devint encore plus fréquente et cordiale que par le passé; et l’on peut dire qu’au moment où le comte quittait les affaires, c’est-à-dire vers le printemps de l’année 1906, l’entente anglo-russe était chose décidée et arrangée. Il fut donné à M. Isvolsky de la formuler définitivement et de la contresigner.