Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 44.djvu/138

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

détaillés sur les affaires de son ressort, pouvait et devait à la longue avoir de l’influence sur ses décisions. C’est pourquoi on a pu parler d’une politique du prince Lobanow, de M. Isvolsky, de M. Sazonoff, etc.

Le poste de ministre des Affaires étrangères de Russie était occupé à l’époque qui nous intéresse par le comte Wladimir de Lamsdorf.

Le nom évoque tout un passé fatidique dans l’histoire des relations extérieures de la Russie. L’épouse de l’empereur Paul, l’impératrice Marie, devait sa position à Frédéric II qui l’avait recommandée à l’impératrice Catherine lorsqu’il s’était agi de trouver une fiancée pour l’héritier du trône de Russie. Elle était la fille du petit duc de Montbeillard, qui s’éleva avec l’appui de la Prusse au rang de grand-duc de Wurtemberg et dont le fils devint plus tard roi par la grâce de Napoléon Ier. Femme d’esprit et de caractère ferme et autoritaire, l’impératrice Marie sut se faire un grand renom en Russie par son œuvre de bienfaisance publique et d’éducation féminine. Elle fut dans ce domaine la digne continuatrice de la grande Catherine. Mais elle n’avait jamais aimé sa belle-mère ; elle inculquait même à sa progéniture une aversion étrange contre la mémoire de leur grande aïeule. Politiquement, elle était restée toute sa vie l’organe conscient et actif de l’intrigue prussienne en Russie. C’est d’elle que date ce renouveau puissant de l’influence allemande qui avait sévi au commencement du XVIIIe siècle, qui avait été enrayée par Elisabeth et Catherine II et qui renaissait triomphalement sous les règnes de Paul Ier, d’Alexandre Ier, de Nicolas Ier. On connaît l’opposition de l’Impératrice douairière à l’alliance franco-russe ébauchée à Tilsitt et aux projets de mariage de Napoléon avec l’une des grandes-duchesses de Russie.

Catherine avait, comme on le sait, enlevé à Paul et à sa femme la direction de l’éducation de leurs enfans aînés. Alexandre et Constantin avaient été élevés par le philosophe suisse Laharpe sous l’œil vigilant de l’Impératrice elle-même, Devenue souveraine à son tour, et ensuite ayant barre sur son fils Alexandre par le souvenir de la mort de Paul Ier, l’impératrice Marie présida elle-même à l’éducation de ses deux fils cadets : Nicolas, — le futur autocrate, — et Michel. En quête d’un précepteur, son choix se fixa sur un modeste gentilhomme