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resserraient de jour en jour. En France, le porte-parole le plus dévoué et le plus autorisé d’Édouard VII était M. Delcassé, alors ministre des Affaires étrangères. À Tsarskoe-Sélo, le Roi pouvait compter sur l’amitié personnelle de l’Impératrice-Mère, du jeune Empereur lui-même et enfin de l’Impératrice régnante Alexandra, sa nièce. Et comme interprète convaincu de ses vues politiques, le Roi avait à ses côtés l’ambassadeur de Russie comte Benckendorff, qu’il avait connu comme ministre à Copenhague et qu’il avait choisi et demandé pour Londres à son neveu.

C’était une figure bien sympathique et bien originale que celle du comte Alexandre Benckendorff, — Benky, comme on finit par l’appeler tout court à Windsor et dans le monde de Londres. D’origine germano-baltique, catholique par sa mère, — une princesse de Croy, — cousin germain de ce fait de quelques archiducs d’Autriche et de son collègue allemand, le prince Lichnowski, — ce grand homme chauve, maladivement distrait, éminemment distingué de tournure, d’intelligence, mais surtout de caractère, était, malgré ses origines, l’un des diplomates les plus profondément et sincèrement patriotes qu’eût possédés la Russie.

Né et élevé à Saint-Pétersbourg, intime dès sa jeunesse à la cour, marié à une comtesse Schouvaloff, — parfait spécimen de la grande dame russe intelligente, originale et indépendante, — possesseur de grandes terres au fin fond de la Russie du Centre où il passait de longs mois de congé et à la culture desquelles il s’intéressait passionnément, le comte Alexandre Benckendorff ne pouvait ni adopter la mode toujours croissante d’un nationalisme étroit et ultra-conservateur, ni se réfugier, comme l’a fait la grande masse des barons baffes, — ses congénères, — dans la conception d’un dévouement sans bornes au souverain, mais non au peuple russe et à ses intérêts immédiats. Ce dernier grand seigneur parmi les ambassadeurs russes avait, durant toute sa vie et toute sa carrière, évoqué l’idéal d’une autre Russie, grande et respectée au dehors, largement libérale au dedans, libérale dans le sens vrai du mot, c’est-à-dire élevant le peuple et les institutions russes à un niveau assez haut pour qu’ils fussent respectés et désirés et non seulement craints et subis.

On peut facilement concevoir l’influence que dut avoir sur