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lui-même, et qui tient tout entière dans cette proposition : « Les formules scientifiques ne sont pas vraies, elles sont commodes. » Et certes, cela ne voulait pas dire qu’elles sont fausses, et sans rapport direct avec la réalité; cela voulait dire simplement qu’elles en sont une représentation lointaine, approximative, sujette à révision et à correction; et cela voulait dire aussi que les formules expriment une « correspondance » symbolique, mais non arbitraire, avec le réel. Mais ainsi réduite à un ensemble de procédés ou de recettes empiriques nous permettant d’agir sur la nature, la science se trouvait destituée de ce privilège usurpé qu’on lui avait trop libéralement concédé d’être vraie d’une vérité inconditionnelle et absolue.

Un des plus brillans élèves d’Henri Poincaré allait faire un pas de plus. Mathématicien de haute valeur, et auquel un très bel avenir scientifique était réservé, s’il avait voulu se cantonner dans la science pure, philosophe original et hardi, exégète même et théologien, écrivain de race, M. Edouard Le Roy, comme Pascal dont il est nourri, de la science la plus abstraite à la méditation religieuse la plus intense, a su remplir tout « l’entre-deux. » Disciple très libre et, en quelque sorte, tout spontané de M. Bergson, les livres qu’il nous donnera, quand il aura le loisir de rédiger ses cours du Collège de France sur la Pensée mathématique pure, sur la Théorie de l’Expérience, sur le Problème de la Liberté, feront date sans doute dans l’histoire de la spéculation contemporaine. Et quand il aura converti en un volume ses conférences sur l’Altitude et l’affirmation catholiques, peut-être y verra-t-on l’une des apologies les plus fortes, les plus compréhensives et les plus agissantes que nous ayons encore du christianisme. En attendant, les études dispersées qu’il a intitulées Science et Philosophie, Un positivisme nouveau, Essai sur le miracle ne laissent planer aucune incertitude sur le fonds substantiel et sur l’orientation de sa pensée.

Bien loin, selon lui, de nous révéler, comme on l’a cru longtemps, avec des garanties d’absolue certitude, la réalité même, la science n’en est qu’une interprétation « truquée, » conventionnelle et symbolique; elle est une construction de l’esprit : construction toute contingente, relative, d’autant plus pauvre et sèche qu’elle est plus systématique et plus logique; elle ne saisit, et encore, en les déformant, que des apparences, que les dehors les plus superficiels des choses. Pour pénétrer