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curé de campagne et d’un curé de canton qui eurent un vif succès et qui, suivies du Journal d’un évêque[1], orientèrent très heureusement nombre d’activités sacerdotales. Il avait dirigé pendant dix ans une vaillante revue d’avant-garde, la Quinzaine, qui a joué son bout de rôle dans la mêlée contemporaine et où se sont formés bien des jeunes talens. Toujours « très attentif au mouvement des idées, » il avait consacré son dernier livre à l’étude de l’évolution spirituelle en France entre les années 1880 environ et 1914. L’ouvrage est, en son ensemble, extrêmement suggestif. Dans un travail de cette étendue et de cette complexité, il est toujours possible de reprendre tel ou tel détail, de discuter tel ou tel jugement. On aurait pu souhaiter, par exemple, une exposition moins morcelée, un souci plus rigoureux de la chronologie. Mais tel qu’il est, personne ne saurait nier que le livre de George Fonsegrive forme l’enquête la plus sérieuse et la plus complète que nous possédions encore sur cette importante période de notre histoire morale.


I

Remontons, pour bien assurer notre point de départ, un peu plus haut que ne l’a fait George Fonsegrive, et plaçons-nous aux environs de l’année 1865. C’est l’année où Claude Bernard publie sa mémorable Introduction à l’étude de la Médecine expérimentale. Taine vient de faire paraître son Histoire de la littérature anglaise, et Renan, sa Vie de Jésus ; Flaubert, sa Salammbô, et Leconte de Lisle, ses Poèmes barbares ; Berthelot, enfin, sa Chimie organique fondée sur la synthèse. Quelques différences qu’il puisse y avoir entre toutes ces œuvres, — et, par exemple, celle de Claude Bernard ouvre, à divers égards, des voies nouvelles, — elles n’en manifestent pas moins les mêmes tendances, et il n’est pas très malaisé d’en dégager la commune philosophie.

Une idée maîtresse s’est imposée à toute cette génération d’écrivains ou de penseurs avec une force d’obsession véritablement extraordinaire : celle de la Science, conçue comme l’unique discipline de l’esprit et comme l’arbitre suprême de l’action. Considérer le monde, — et non pas seulement le

  1. 4 vol. in-16 ; Paris, Gabalda.