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Tarascon, 11 ; adjudant-chef Fonck, 11 ; sous-lieutenant Lufbery, 10.

Ces noms-là grandiront en gloire. Quelques-uns ont déjà grandi. D’autres noms viendront s’ajouter aux leurs. Cependant ne te borne pas à retenir des noms. Car tu n’en retiendras jamais assez, car tu ne connaîtras pas et personne ne connaîtra jamais tous les milliers de noms qu’il faudrait retenir si nous étions vraiment soucieux de ravir à l’oubli menaçant tous les morts et tous les vivans dont le courage et la vertu, dont l’endurance et la douleur ont composé notre armée et sauvé notre sol. Ne sois pas, ne soyons pas injustes : la gloire d’un homme n’est rien si elle ne représente les puissances obscures de la foule anonyme. Dans ce nom de Guynemer il faut entendre le bruit d’armes de toute la jeunesse française, — fantassins, artilleurs, sapeurs, cavaliers, aviateurs, — qui s’est dépensée sans mesure pour notre salut, comme on entend dans un coquillage le bruit de toute la mer au flot sans nombre.

Il fallut cet élan, cette longue résistance, cette patience prodigieuse, et ces efforts, et ces sacrifices des générations qui t’ont précédé, petit écolier de France, à qui ton âge n’aura pas permis de fournir ta part, pour te sauver, pour sauver notre pays, pour sauver le monde, créé par la lumière et pour la lumière, des ténèbres d’une épouvantable oppression. L’Allemagne a vidé la guerre de tout ce que les nations, péniblement et bien incomplètement, y avaient introduit de respect pour la foi jurée, de pitié pour les faibles, de protection pour les nonbelligérans, d’honneur. Elle a achevé de l’empoisonner, comme ses gaz. Voilà ce qu’il ne faut pas oublier. Non seulement elle a voulu la guerre et l’a imposée, mais, pour établir sur l’univers la domination de la force, elle a eu recours à la cruauté et à la terreur érigées en systèmes. Ainsi a-t-elle semé la haine, la révolte, l’horreur contre tout ce qui nous rappellera le nom allemand. Tes camarades de Paris, petit écolier, te diront qu’un soir, pendant leur sommeil, des escadrilles ennemies sont venues au clair de lune jeter des bombes au hasard sur la grande cité hors la zone des armées, cible immense, but impossible à manquer. Et quel buti D’inutiles assassinats. C’est la guerre qu’a menée l’Allemagne dès le début, c’est la guerre qu’elle nous contraint à lui faire. Et, pendant que s’accomplissait cette triste besogne, nos avions, montés par des pilotes