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faire rentrer les gens chez eux. Veut-on, si l’on tient à ne pas avoir l’air de supprimer toute ombre, même légère et fugitive, que des nerfs, à l’excès tendus par trois années pleines d’angoisses et de deuils, aient été néanmoins un instant secoués? Il reste qu’il n’y a pas une âme où la résolution n’ait été affermie et la haine accrue. Fait significatif, et qui classe et qui juge ces expéditions sauvages : la colère s’est très hautement mélangée et nuancée de mépris. Paris indigné n’a pas dit, le soir même : « Les bandits! » Ce n’est pas le côté odieux de l’agression qui l’a le plus frappé; et, le lendemain, il n’a ni récriminé ni frondé. On n’a pas pu noter la moindre plainte sur « l’insuffisance des moyens de défense; » il sait qu’une telle aventure est le minimum des hasards de la guerre, et il en fait volontiers l’offrande à la solidarité nationale, fier au fond d’être associé de plus près à l’épreuve; il sait, en outre, que l’Allemagne joue son jeu, et qu’elle ne peut le jouer qu’à l’allemande. Il lui répond, lui, à la parisienne, comme nos aviateurs ont répondu à la française, en profitant de ce que le camp des Gothas était demeuré éclairé pour aller l’arroser d’obus, en bouleverser le sol, et leur ménager un retour mouvementé. Mais cette réponse à la parisienne, et même cette réponse à la française, ne suffiraient pas, si elles n’avaient que la durée d’un mot et que la portée d’un geste. Il appartient à chacun de nous de faire payer à l’Allemagne, du prix qui lui paraîtra le plus lourd, ses abominables forfaits. La guerre est longue, mais la paix le sera bien davantage encore. Les gouvernemens, quand ils la feront, concluront entre eux des traités, et nous aurons l’obligation de les observer strictement. Mais ce ne seront jamais que des traités conclus entre des gouvernemens ; par eux seront rétablies les relations publiques d’État à État ; non les relations privées d’homme à homme. Que tout Français et toute Française fasse à soi-même le serment de ne plus connaître, de ne plus recevoir, de ne plus rencontrer, pour aucune raison, sous aucun prétexte, aucun Allemand quel qu’il soit. Sans doute, l’idée paraîtra ingénue, et prêtera peut-être à sourire : « Prétendez-vous ignorer la puissance allemande, la science allemande? l’industrie allemande?» Nous prétendons que c’est par ces saintes ignorances que les peuples se conservent, et qu’il n’y a pas de « société des nations » qui tienne ; que nous avons le droit, chacun pour nous, chacun chez nous, de choisir notre « société. » L’Allemand, ajoutera-t-on, en sera peu touché. Nous en causerons, lorsque nous aurons vu, après la guerre, combien de temps il aura mis à essayer de revenir.