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— A qui en parlez-vous ! fit l’Empereur. Qui le sait mieux que moi ? Au fond, on ne peut empêcher les choses de paraître ce qu’elles sont réellement, et peut-être moi-même, ajouta-t-il en riant, ai-je été, comme grand-duc, libéral en ce sens ; mais aussi j’ai distingué et je distinguerai toujours ceux qui veulent des réformes justes en elles-mêmes, et qui désirent qu’elles émanent de l’autorité légitime, de ceux qui ont prétendu les exécuter par eux-mêmes, et Dieu sait encore par quels moyens ! Tout cela, mon cher, est bien difficile. Enfin, je compte sur l’aide de la Providence qui nous a visiblement protégés jusqu’ici, et qui, j’espère, ne nous abandonnera pas. Je compte aussi sur l’appui de mes Alliés ; cette cause est la leur aussi bien que la mienne.

L’engagement n’était pas, en ce qui touchait des réformes, aussi formel que l’ambassadeur l’eût souhaité. Il en désirait un plus positif en faveur de la paix européenne, il le demanda.

— Votre Majesté a la plus belle armée du monde, mais Dieu, en lui donnant la puissance, lui a donné aussi la modération et, de même que son auguste prédécesseur, elle ne s’en servira sûrement que pour le repos de l’Europe…

— Vous pouvez être parfaitement tranquille à cet égard. On se plaît à me faire la réputation d’un homme aimant le bruit et l’a guerre ; on dit qu’elle m’est nécessaire ; il n’en est rien ; je suis le plus pacifique des hommes et je ferai de mon mieux pour que la paix ne soit pas troublée ; mais il ne faut pas me pousser à bout. Malheur à qui voudrait toucher à la Russie ou la croire déchue ! Je saurais alors prouver que nous sommes assez forts pour nous faire respecter et pour veiller à nos intérêts.

La Ferronnays ne nous dit pas s’il fut entièrement rassuré par ces déclarations et par l’assurance que lui donna l’Empereur « que tout agrandissement était loin de sa pensée. » Il constate seulement qu’au moment où l’audience prenait fin, Nicolas lui dit en l’embrassant :

« Revenez-nous ; ne nous quittez pas ; croyez-moi, nous ferons ensemble de bonnes affaires. »


ERNEST DAUDET.