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en supposant que la peste révolutionnaire déchaînée dans son pays menaçait les autres États et en méconnaissant que la source du mal était chez lui, et non chez les autres. Que les doctrines de la Révolution française l’eussent aggravé, ce n’est pas contestable. Mais elles n’eussent pas produit les résultats qu’il leur attribuait, si elles n’étaient tombées sur un terrain depuis longtemps préparé pour recevoir et faire fructifier cette semence. L’erreur de Nicolas Ier se prolongera durant tout son règne. Elle le convaincra qu’il est chargé par la Providence de la police de l’Europe, et que c’est son devoir de combattre la révolution partout où elle se propage, en Allemagne, en Autriche, en Pologne, en Hongrie ; il oubliera que, si elle gronde chez lui non moins bruyamment qu’ailleurs, la faute en est aux crimes de l’autocratie, au despotisme qu’elle exerce dans l’Empire, au servage des paysans, à la vénalité de la noblesse, à l’exploitation systématique des humbles par les grands, aux conquêtes abusives qui font des peuples annexés un troupeau de martyrs, et en un mot aux iniquités qu’a légalisées le régime impérial pour étouffer chez le peuple le goût et le désir de la liberté.

Les événemens que nous racontons ont conduit nos lecteurs à la fin du mois de janvier 1826. À cette date, La Ferronnays se préparait à rentrer en France ; il fut admis, le 29, à prendre congé de l’Empereur. Les propos échangés ce jour-là ne méritent pas moins que les précédens d’être retenus ; ceux de Nicolas achèvent d’éclairer sa mentalité, telle qu’elle était après quelques semaines de règne. L’ayant remercié de ses bontés, La Ferronnays ajouta qu’il était heureux de pouvoir, en arrivant à Paris, rendre compte au Roi de ce qu’il avait vu et lui dire combien la fermeté de l’Empereur, ses intentions généreuses et l’enthousiasme qu’il excitait, étaient propres à dissiper les inquiétudes qu’avaient pu faire naître les derniers événemens.

— Enthousiasme, c’est beaucoup dire, observa Nicolas ; je ne m’abuse ni sur sa nature, ni sur sa durée ; mais je serai bien aise que vous fassiez connaître la vérité. Cela sera d’autant plus utile que vos journaux ont parlé d’une manière bien peu convenable de ce qui s’est passé ici.

— Ah ! Sire, objecta l’ambassadeur, le Roi et ses ministres sont en butte à des attaques bien plus vives, et nos lois sur la presse ne permettent pas de les réprimer.