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cérémonie religieuse analogue aurait lieu à la même heure au couvent de Newski, et à laquelle ils assisteraient.

Or, le lendemain 9 décembre, une lettre partie de Taganrog le 1er, parvenue à Saint-Pétersbourg à six heures du matin, annonçait la mort de l’Empereur. Le porteur de cette triste nouvelle avait reçu l’ordre de ne la communiquer à personne sur sa route, pas même au gouverneur de Moscou. Il devait, en arrivant à Saint-Pétersbourg, remettre les plis qu’on lui avait confiés au gouverneur militaire, général Miloradowitch, ce qu’il fit sans tarder. Dès que le général eut pris connaissance de leur contenu, il se rendit chez le prince Lobanoff, ministre de la justice, et tous les deux allèrent ensemble faire connaître l’événement au grand-duc Nicolas, le seul des frères de l’Empereur qui résidât alors dans la capitale. Après la première explosion de sa douleur, le prince ne songea plus qu’aux devoirs qui lui restaient à remplir ; le plus douloureux consistait à prévenir sa mère. Elle était alors, avec toute la cour, à la chapelle du palais, assistant au Te Deum ordonné la veille. Sur l’ordre du grand-duc, le médecin de l’Impératrice, par lequel il avait eu soin de se faire accompagner, s’approcha d’elle et lui glissa quelques mots à l’oreille, pour la préparer au malheur qu’il venait lui apprendre. Elle parut éprouver un grand saisissement ; elle était à genoux ; le grand-duc s’avança, fit signe au prêtre de cesser les chants, et d’une voix altérée lui dit :

« Portez la croix à ma mère. »

À ces mots, qui apprenaient à toute la cour la perte irréparable que venait de faire la Russie, l’Impératrice tomba sans connaissance.

Son fils la fit aussitôt transporter dans ses appartemens où il la suivit accompagné de sa jeune femme qu’il laissa auprès d’elle en disant :

« Restez ici et faites votre devoir ; moi je vais faire le mien. »

Quel est-il, son devoir, en cette heure solennelle et troublée ? Il sait que Constantin a renoncé à la couronne et que lui-même a été désigné par l’Empereur défunt comme son héritier. Mais ce renoncement et les dispositions prises par Alexandre, qui les connaît ? Eloigné de son frère, empêché de correspondre rapidement avec lui, Nicolas peut-il, sans l’avoir consulté, se prévaloir des droits qu’il tient d’un écrit que, sauf un petit nombre