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proscription générale ; du reste, on devait faire main basse sur tous les étrangers.

Le premier projet des conspirateurs avait été de n’éclater que le 12 mars, anniversaire de l’avènement d’Alexandre Ier. Chacun d’eux portait une bague de fer sur laquelle était gravé le chiffre 71 qui représente les 31 jours de janvier, les 28 de février et les 12 premiers du mois de mars. Plus tard, ayant eu connaissance de révélations faites par Wittgenstein, chef de la 2me armée, ils s’étaient déterminés à agir plus promptement, et quinze officiers avaient été choisis pour aller assassiner l’Empereur à Taganrog ; d’autres devaient tuer Michel, à son retour de Varsovie. Nicolas et ses enfans devaient être égorgés à Saint-Pétersbourg.

Ces révélations nous fournissent la preuve que le complot, lorsqu’il semblait à la veille d’éclater, était déjà dénoncé. Mais il est probable que les dénonciateurs n’avaient pu donner que des indications générales ni fournir aucun détail. C’est seulement ainsi que se peut expliquer l’inaction de l’Empereur à la suite de leurs aveux ; elle touche à l’indifférence. Il lit le rapport de Wittgenstein, le replie, le recachète et n’en parle plus. Il meurt peu après ; le pli cacheté est découvert dans ses papiers, envoyé à Varsovie d’où Constantin le transmet à Nicolas qui sans doute ne le reçut qu’après avoir écrasé l’insurrection, car, averti plus tôt, il ne lui eût pas laissé le temps d’agir.

Depuis le départ de l’Empereur pour Taganrog, les nouvelles qu’on recevait de lui ne pouvaient faire prévoir que sa santé fût si près d’être irréparablement atteinte[1]. Sa famille et la cour furent donc saisies de stupeur et de consternation lorsque le 7 décembre une lettre du général Diebitsch, chef de sa maison militaire, datée du 27 novembre, leur apprit qu’à la suite d’une indisposition qui semblait légère, son état s’était subitement aggravé et à ce point que sa vie était en danger. On attendit avec anxiété un prochain courrier ; il arriva le 8, apportant des nouvelles plus rassurantes, qui rendirent l’espoir et la confiance. L’Impératrice mère ordonna qu’un Te Deum serait chanté le lendemain dans la chapelle du palais pour remercier Dieu et lui demander l’entière guérison de l’Empereur. De leur côté, les membres du Conseil de l’Empire décidaient qu’une

  1. Pour cette partie de mon récit, j’ai suivi pas à pas la relation de La Ferronnays dans ses rapports diplomatiques.