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bienveillance jusque dans l’expression de ses regrets, cette bienveillance naturelle dont La Ferronnays avait reçu les témoignages dès sa première audience et qui, cinq ans plus tard, semblait s’être accrue. Au mois de janvier 1825, peu après l’avènement de Charles X, causant avec l’ambassadeur de France et faisant allusion aux débats parlementaires qui, à Paris, mettent aux prises les diverses fractions du parti royaliste, l’Empereur ne cache pas qu’il voit avec anxiété cette désunion entre des hommes si estimables :

« Je crains, dit-il, je vous l’avoue, que cette division dans le parti royaliste n’entraîne de funestes conséquences et ne rende aux libéraux la force et l’espérance qu’ils avaient perdues. Du reste, vous savez mieux que personne combien sont sincères les vœux que je fais pour le bonheur et la prospérité de la France. Le regret que je vous témoigne n’est donc motivé que par la crainte que j’ai de voir l’un et l’autre compromis. Je reçois, d’ailleurs, avec la plus vive satisfaction, l’assurance que vous êtes chargé de me donner, que, quant à la politique extérieure, le gouvernement du Roi ne changera rien aux principes qui dirigent sa marche et sa conduite depuis dix-huit mois, et qui avaient mérité à M. de Chateaubriand la confiance et l’estime de tous les Cabinets de l’Europe. » Pour finir, il faisait dire à Charles X qu’il était son allié le plus dévoué et qu’il formait les vœux les plus sincères pour son bonheur et la prospérité de son règne. Il couronnait cette déclaration en démentant avec énergie les vues ambitieuses dont on l’accusait. « Maintenir la paix, affirmait-il, combattre les révolutionnaires et les attaquer partout, voilà toute mon ambition et la seule gloire à laquelle je prétende. »

Qu’au temps de sa jeunesse, il eût nourri d’autres pensées, surtout lorsqu’à Tilsitt Napoléon, pour assurer sa propre puissance en Occident, lui livrait l’Orient et Ouvrait à ses ambitions la conquête de Constantinople, on n’en saurait douter. Mais, depuis, tout en lui était bien changé. L’âge et l’expérience l’avaient assagi, ramené à des pensées plus modestes, ces pensées qui le hantaient jadis lorsqu’il n’était encore que césarewitch et lui faisaient souhaiter de ne jamais régner. Maintenant qu’il était devenu l’arbitre de l’Europe, il considérait comme un devoir impérieux de donner l’exemple d’un renoncement total aux visées conquérantes d’autrefois. Il était sincère