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tant de force pour l’imposer. Seulement, aux yeux des autres, le Guynemer du début n’est pas le capitaine Guynemer, officier de la Légion d’honneur, célèbre dans le monde entier. En ce temps-là, dans les ateliers, chez les constructeurs, quand il affirme, quand il dénonce une erreur, quand il réclame un changement, on le trouve bien audacieux et outrecuidant. Un jour, il se fait traiter de petit jeune homme.

— Si vous faites une sottise, réplique-t-il, ce sont les petits jeunes gens comme moi qui la paient.

Comme tous ceux qui sont hors des difficultés matérielles, il est impatient et parfois nerveux. Il s’irrite des retards et des résistances. Il voudrait forcer le temps qui ne se laisse jamais faire, et briser les obstacles. Peu à peu, le charme opère dans l’usine comme dans le ciel. Le conquérant des airs conquiert les ateliers. Quand il y arrive, on lui fait fête, non point seulement par curiosité, mais par sympathie et aussi parce qu’on a éprouvé sa compétence. Les ouvriers se réjouissent de le voir monter sur un appareil en construction, expliquer avec son éloquence brève, concise, martelée, ce qu’il veut, ce qui assurera la supériorité de notre aviation. Suspendant leur travail, ils l’entourent, ils l’écoutent. Là aussi, il connaît le triomphe. Quand, les jours de pluie, dans les hangars, il s’en allait chevaucher son avion immobilisé et lui parlait mystérieusement, on le croyait possédé : il cherchait la perfection.

Cependant, il s’est lié avec des ingénieurs remarquables, le commandant Garnier à Puteaux, l’ingénieur Béchereau des ateliers Spad. Ceux-ci l’ont pris au sérieux, ne l’ont pas considéré comme l’aviateur hargneux, toujours en antagonisme avec le fabricant, ont démêlé en lui cet esprit d’invention en mouvement, réalisent ses rêves. L’ingénieur Béchereau, après de longs délais, est décoré pour les services éminens qu’il a rendus. M. Daniel-Vincent, alors sous-secrétaire d’Etat à l’aéronautique, vient à l’usine pour lui remettre sa croix de la Légion d’honneur. Il aperçoit Guynemer, venu pour assister à la cérémonie, et il a ce geste élégant de lui passer la décoration :

— Remettez-la-lui vous-même. Ce sera mieux.

Au début de septembre 1916, Guynemer a inauguré sur le front l’un des deux premiers Spad. Le 8, il écrit à M. Béchereau : «…Vous savez que le Spad est baptisé. C’était comique