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guerre qui a ciselé ce visage, affiné et virilisé ensemble cette tête de guerrier. Je le regarde lui-même, un peu surpris de ma découverte. Rapproché de ses anciennes images, il est un peu effrayant à regarder.

Mais il rit, et ce rire clair chasse tous les fantômes… ?


VI. — L’AVION MAGIQUE

L’enfant qui, pour les poupées de ses sœurs, imagine un lit enchanté, le collégien qui, dans sa classe, au collège Stanislas, installe un téléphone pour communiquer de sa place avec les derniers rangs ou qui, plus tard, fabrique des avions en miniature, l’engagé volontaire de Pau qui, au camp d’aviation, a pénétré par la plus petite porte et consenti à frotter, nettoyer et vérifier les moteurs, avait toujours montré la passion de la mécanique. Devenu pilote, puis chasseur, Guynemer manifeste dans la connaissance et le perfectionnement de la construction, la même ardeur insatiable, la même fougue et la même opiniâtreté que dans ses duels aériens. Il réclame sans cesse des appareils plus vîtes et plus puissans, mais il ne se contente pas d’exciter les constructeurs, de les brûler de sa propre flamme, il entre dans les détails techniques en praticien, il fournit des indications, il va, toutes les fois qu’il en a l’occasion, visiter les ateliers et procéder lui-même aux essais. Essais parfois dangereux : le 31 décembre 1915, il écrivait au sujet de la mort de l’un de ses camarades, Edouard de Layens, tué par accident : « Cela me ferait moins de peine s’il avait été tué par un Boche, mais cet accident me met en rage. » Il y a chez Guynemer tout un côté mal connu et que l’on ne peut aujourd’hui révéler qu’avec précaution : c’est l’inventeur.

Aucune partie de son appareil, aucune pièce de sa mitrailleuse ne lui sont étrangères. Il les a toutes palpées, maniées, étudiées en elles-mêmes, dans leur position respective, dans l’ensemble. Le dispositif intérieur de l’avion lui doit des aménagemens plus pratiques. Il y a un viseur Guynemer. Il a toujours parlé avec assurance, avec autorité. La gloire, à mesure qu’elle vient, n’a aucunement le pouvoir de le modifier. Il demeure exactement le même garçon impétueux qui suit son idée. Et c’est parce qu’il suit son idée, et que cette idée est entièrement désintéressée, soumise à son service, qu’il se sent