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couvert de gloire, que sa mère s’oublie à l’appeler Bébé, comme autrefois. Aussitôt, elle s’en excuse. Mais lui :

— Pour vous, toujours, maman.

Sa mère, alors, se prend à songer :

— J’aimais mieux quand tu étais petit.

— Vous ne m’en voulez pas, maman ?

— De quoi t’en voudrais-je ?

— D’avoir grandi.

Il a tant grandi qu’il a touché les astres.

Chez lui, il ne peut se résoudre à la solitude et fait des rondes aux étages pour ramasser des compagnons, des auditeurs. Car il parle sans cesse, avec la même flamme et de la même chose : ses appareils et ses chasses. On l’entend d’une pièce à l’autre. D’étranges lambeaux de phrases passent les portes :

—… Alors, je me suis embusqué.

Embusqué, lui, mais où donc ?

— Oui, dans un nuage.

De quel pouvoir dispose-t-il ? Les miracles de la Bible sont dépassés :

—… Alors, avec mon aile, j’ai caché le soleil…

L’éblouissement de l’astre gênait sa vue. Au lieu de la main, il interpose l’aile de son appareil.

Il gâte ses sœurs, il n’oublie ni une fête ni un anniversaire. Mais il n’offre pas toujours les cadeaux qu’il rêvait d’offrir :

— J’aurais voulu vous rapporter un Boche…

Il ne recherche pas le monde ; quand le monde vient à lui, il montre sa même gaîté, sa même exubérance. Il a joué à tous les jeux, excepté au grand homme. Mais quand on parle de l’avenir, il arrête la conversation :

— Ne faisons pas de projets…

De l’un de mes carnets de guerre, je détache ce feuillet (juin 1917) qui représente un Guynemer chez lui :


Mercredi 27 juin. — De passage à Compiègne. Chez les Guynemer. Il est la séduction même, avec sa souple démarche de « déesse sur les nuées » qui semble lui rester de ses vols, ses yeux incomparables, son agitation perpétuelle, cette force électrique qui est en lui, ce mélange d’élégance naturelle et