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de l’état-major, celui-ci la jugea si raisonnable qu’il y donna tout de suite les mains, comprenant qu’à continuer l’attaque en plein jour, on courait à un échec complet. Jusqu’aux maisons crénelées en effet, la route, oblique à l’Yser, échappait à peu près aux vues de l’ennemi, mais elle adoptait ensuite une direction parallèle au fleuve et la conservait jusqu’à Saint-Georges : l’ennemi, dans une position dominante, la prenait d’enfilade sur une longueur de trois cents mètres et une largeur de dix. Pas un homme n’en réchapperait. Tout ce qu’on pouvait faire pour l’instant, c’était d’envoyer de nouvelles patrouilles reconnaître le terrain : l’une, de trois chasseurs, qui s’avancerait par la berge sud de l’Yser ; l’autre, de trois marins, qui prendrait par la route de Saint-Georges.

Six volontaires s’offrirent. La patrouille des marins était commandée par le quartier-maître Besnard (Onésime) ; les deux hommes s’appelaient Savary et Dizet. D’arbre en arbre, en rasant le remblai, elle réussit à se faufiler jusqu’à cent mètres du village. Pouvait-on pousser plus loin ? Une certaine hésitation se manifestait chez les hommes. Besnard, pour leur montrer qu’il n’y avait aucun danger, partait seul en avant, posait son béret à terre, revenait en rampant vers ses hommes et retournait le chercher avec eux[1]. Ce petit jeu continua jusqu’au moment où il plut à l’ennemi d’y mettre un terme : Besnard s’affaissa, une balle dans le ventre et la hanche brisée ; Savary et Dizet aussi étaient touchés. Mais aucun d’eux n’était mort. Tous les trois eurent le courage de rester sans bouger à l’endroit où ils étaient tombés. À la nuit seulement, en se traînant sur le ventre, ils réussirent à regagner nos lignes et purent rendre compte de leur mission. Proposés pour la médaille et une citation, ils durent les attendre assez longtemps, car à cette époque le Quartier Général n’était pas prodigue de ces faveurs qui ne récompensaient que des actions d’un éclat exceptionnel.

Pendant ce temps, les trois hommes de la patrouille des chasseurs remontaient à la file indienne la berge Sud du canal. Tout va bien tant qu’ils ont l’abri du remblai. Mais, en obliquant vers la Maison du Passeur, ils sont découverts à leur tour par les guetteurs ennemis et tirés à bout portant : le caporal est tué, les deux chasseurs blessés. Trois de leurs

  1. Second-maître Ludovic Le Chevalier, Carnet de Campagne.