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aujourd’hui. La Revue combattrait cet ouvrage. Elle aurait raison et je crois que je l’y aiderais.

« Si vous voulez venir me voir vendredi, ou samedi, ou dimanche, je vous attendrai ces trois jours-là depuis deux heures après-midi jusqu’à six heures du soir. Nous parlerons dans ma cellule du passé, du présent et de l’avenir avec un peu de calme et de silence.

« Tout à vous.

« ALFRED DE VIGNY[1]. »


M. E. Dupuy a écrit (il faut sans cesse revenir à l’étude de M. Dupuy sur Vigny) que F. Buloz préférait recevoir Vigny chez lui, plutôt que de visiter le poète, car le directeur de la Revue « entendait rester sur son terrain. » « Sur son terrain il était inexpugnable, » disait aussi à Blaze. M. Dupuy semble voir toute une politique dans un fait bien simple : il est assez compréhensible que le directeur de la Revue, si absorbé par son travail, aimât mieux attendre chez lui le poète.

En 1854, F. Buloz obtint de Vigny La Bouteille à la mer qui parut dans le numéro du 1er février[2]Deux ans après, en mai, Vigny, souffrant, écrivait à son directeur :

« Comme je ne peux pas encore sortir, et que les douleurs que j’éprouve des suites de cette blessure me retiennent encore chez moi et souvent au lit, je vous envoie ce billet et ne puis vous rendre encore la dernière note que vous m’avez faite.

« Je le regrette pour les choses que j’avais à vous dire, et dont j’ai été empêché par la présence d’une autre personne…

« Si vous pouvez revenir à présent, puisque l’enfantement de la Revue du 1er mai vous laisse un peu de repos, vous savez que vous me trouverez à la même place depuis une heure après-midi jusqu’à une heure après minuit.

« Si vous avez une heure à vous, faites-la-moi connaître, et venez la perdre avec un invalide qui souffre jour et nuit.

« Tout à vous.

« ALFRED DE VIGNY.

Vendredi, 2 mai 1856. t


Voici la dernière lettre du poète à F. Buloz, — du moins

  1. Inédite.
  2. Ce numéro contient aussi La Poésie des races celtiques d’Ernest Renan, et une étude de Victor Cousin sur La Marquise de Sablé et La Rochefoucauld.