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De quelque côté que l’ennemi reçût ces renseignemens, il reste acquis que « les bombardemens d’Oost-Dunkerque, qui avaient été assez rares jusque-là et qui avaient même complètement cessé depuis deux semaines, devinrent beaucoup plus fréquens à partir du 25 novembre[1], » date du débarquement des marins dans la localité. Et ils se firent en même temps beaucoup plus précis. La population commençait à s’inquiéter. Quelques habitans faisaient déjà leurs paquets[2] et la plupart avaient cherché un refuge dans les caves. Impavide, le général Trumelet-Faber conservait son poste de commandement au Grand-Hôtel d’Oost-Dunkerque-Bains. C’était un vieux Lorrain, un de ces Bitchois taillés sur le modèle des héros d’Erckmann-Chatrian, à la rude moustache et à l’âme irréductible comme leur cité[3]. Atteint par la limite d’âge en avril 1914, réintégré dans les cadres au mois d’août, le général Trumelet-Faber avait succédé en octobre au général Marcot à la tête de la 81e division territoriale. Il sortait de son poste de commandement avec le colonel d’artillerie Nicolle. Les deux hommes causaient sur le promenoir de la plage, indifférens aux projectiles qui s’abattaient autour d’eux et dont, à quelque cent mètres de là, dans un pli de la dune, un pêcheur observait à la jumelle les points d’éclatement. Un dernier obus fit explosion sur le promenoir même, blessant mortellement le général, épargnant le colonel. Le pêcheur gratta le sable, y enfouit sa jumelle et revint sur la plage où ses questions indiscrètes éveillèrent les soupçons. Arrêté, il fut reconnu pour un indicateur. Trumelet-Faber

  1. Carnet de route du lieutenant de vaisseau L…
  2. Toutefois l’exode le plus important n’eut lieu qu’après le bombardement du 12 décembre. On lit dans les journaux anglais à la date du 11 : « Le vapeur de l’État belge, la Ville d’Anvers, vient de débarquer à Douvres une centaine de réfugiés venant de la région d’Oost-Dunkerque, qui a été bombardée par l’artillerie ennemie établie à Nieuport. Les maisons de cette région ont été démolies l’une après l’autre par les obus, et la population civile a dû s’enfuir précipitamment. »
  3. Né à Bitche le 24 avril 1852, Trumelet-Faber venait de passer à Metz son concours d’admission & Saint-Cyr et était rentré à Bitche en attendant les résultats de l’examen. La guerre éclatait dans l’intervalle. L’enfant s’engageait dans un corps franc formé à Bitche même, était fait prisonnier au cours d’une reconnaissance et allait être fusillé comme espion : mais il brûlait la politesse à l’escouade qui le conduisait au camp prussien, rentrait à Bitche, gagnait le Luxembourg, puis la Belgique et se rendait à Tours où, en vertu du décret qui autorisait le gouvernement à nommer officiers les candidats admissibles à Saint-Cyr, il recevait son brevet de sous-lieutenant au 16e d’infanterie. Le reste de sa carrière s’était presque entièrement déroulé dans nos colonies, en Annam, au Tonkin, en Tunisie, au Maroc oriental, où sa belle vaillance au combat de Sangal et d’Aïn-el-Arba (avril-mai 1913) lui avait valu la cravate de commandeur.