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Sonnet pour la fête de l’Opéra au bénéfice des pauvres.

Esprit parisien ! Témoin du bas Empire !
Vieux sophiste épuisé qui bois, toutes les nuits,
Comme un vin dont l’ivresse engourdit tes ennuis,
Tes gloires du matin, la meilleure et la pire…

Froid niveleur, moulant, aussitôt qu’il expire
Le plâtre d’un grand homme, ou bien d’un assassin,
Leur imprimant le crâne, et, dans leur vaste sein,
Pompant jusques au cœur ta lèvre de vampire,

Tu ris ! ce mois joyeux t’a livré, trois par trois,
Les fronts guillotinés sur la place publique.
Ce soir, fais le chrétien, dis bien haut que tu crois.

A genoux ! roi du mal, comme les autres rois
Pour que la charité, de son doigt angélique,
Sur ton front de damné fasse un signe de croix.

Avril 1836. ALFRED DE VIGNY.


Cette même année 1836, en juillet, Vigny partait pour Londres[1]. Il écrivait à Sainte-Beuve, le 6 : « Je pars samedi pour Londres. J’ai besoin de vous voir et de vous embrasser avant de m’embarquer. » Et de Londres, avant de rentrer en France, deux mois après, à F. Buloz :


« Monsieur,

« Dites-moi avant que je parte s’il n’y a rien à Londres en quoi je puisse vous être utile ou agréable. En deux jours j’aurai votre lettre, et je serai heureux de vous être bon à quelque chose, à vous, ou à votre fille aînée, la Revue des Deux Mondes.

« N’y a-t-il absolument rien qu’elle ignore sur l’Angleterre, et dont il lui soit bon de s’instruire ? Vous n’avez qu’à m’en écrire.

  1. M. E. Dupuy, dans son remarquable travail sur A. de Vigny, écrit : « Un autre voyage, dont je souhaiterais qu’on apportât une preuve très décisive, se placerait en 1836. » Et encore : « Si ce voyage s’est accompli, il a eu bien peu d’importance. » Voici une lettre de Vigny qui apporte la preuve décisive, — puisqu’il en faut plusieurs, — car, doit-on négliger le billet de Vigny à Sainte-Beuve ?