Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/74

Cette page a été validée par deux contributeurs.

à peu près préservés jusque-là. L’ennemi, sans doute, avait des intelligences dans la place, comme sur toute la côte flamande. Ce n’était chaque nuit que lumières suspectes, ombres équivoques, frôlemens mystérieux ; le jour, des ailes de moulins viraient à contre-vent, des fumées bizarrement colorées montaient de la dune. Entre Saint-Idesbalt et Coxyde, dans une « villa boche » du front de mer, « véritable bastion » d’un mètre vingt d’épaisseur qu’il fallut détruire à la dynamite et dont la baie principale, découpée comme l’embrasure d’une pièce lourde, tenait directement sous sa vue le fort Saint-Louis, le génie belge découvrait tout un système de casemates et de plates-formes bétonnées desservies par « un ascenseur capable de monter un poids de 600 kilos[1]. » À Oost-Dunkerque même, des rumeurs couraient sur un personnage que son caractère sacerdotal aurait dû défendre contre de pareilles insinuations et dont tout le crime peut-être était de mal connaître nos marins, qu’il prenait pour des septembriseurs. Il n’avait pu les voir sans aigreur convertir son église en dortoir et dresser dans le cimetière les cuisines de leurs escouades. Pourtant le culte n’avait pas été complètement suspendu : les offices se célébraient à prime, de six à sept heures, devant une assistance assez clairsemée, mais toujours recueillie : quelques vieilles femmes, des enfans, voix aigrelettes ou chevrotantes, que coupait le point d’orgue des dormeurs vautrés dans leur litière. Au tintement de la clochette, des hommes s’éveillaient, tiraient leurs bonnets ; quelques-uns se levaient et, dévotement, suivaient l’office debout, à la bretonne. Les indifférens, dans des coins, éclairés par de petites bougies, le sac sur les genoux, continuaient leur correspondance ; les gradés circulaient sur la pointe des pieds. Personne n’avait besoin qu’on les rappelât à la décence. « La marine, dit un officier, a le respect des sanctuaires. » Aussi bien ces messes clandestines, dans la demi-obscurité, sous le vol des obus, dont l’éclatement faisait vaciller la flamme des cierges, empruntaient des circonstances quelque chose d’émouvant, surtout quand elles étaient dites par des aumôniers militaires. L’enseigne de Blic les servait, le revolver en sautoir, et peu d’officiers étaient plus considérés de leurs hommes qui l’avaient vu à l’œuvre dans vingt combats.

  1. Henri Malo, le Drame des Flandres.