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modestes engagemens : il stipule que F. Buloz sera rédacteur en chef de la Revue des Deux Mondes, Journal des voyages, avec une annuité de 1 200 francs, et 2 francs par abonnement : voilà, je pense, de beaux traitemens !

Les livres étaient chers, et les revues rares en France à cette époque. Les recueils contemporains ne pouvaient guère prétendre à ce titre encyclopédique de « Revue ». La Revue Française, publiée par MM. Guizot et de Broglie, avait précisément cessé de paraître en 1830. Le Globe, fondé par Dubois en 1824, était un « journal sérieux » qui « traitait souvent avec supériorité de haute philosophie, de littérature, d’art de toute espèce, mais ne traitait guère que les questions générales de la politique[1]. » Il y avait aussi le Mercure du XIXe siècle : un contemporain nous dit que ce journal, « tant de fois ressuscité et toujours mourant, avait été abandonné aux célébrités libérales, et à toutes les banalités des partis[2]. » Quant à la Revue Encyclopédique, le même contemporain déclare qu’elle ne formait qu’une masse de documens « plus ou moins utiles, mais indigestes. » Enfin la Revue de Paris, fondée la veille par le docteur Véron, est la seule qui aurait pu entraver l’essor de la Revue nouvelle : c’est le contraire qui arriva.

Lorsqu’il s’engagea à devenir l’associé de M. Auflray, F. Buloz devait certainement avoir son idée faite sur l’avenir de la petite brochure saumon ; pourrait-il, même patiemment, réaliser son rêve ?

Au lendemain de la révolution de Juillet, le pays apaisé espérait enfin tenir, folle espérance ! le Gouvernement définitif. Cette sécurité allait-elle rendre à la littérature les esprits occupés, jusque-là, presque uniquement de politique ? La bourgeoisie désarmée lirait-elle ? La Revue aurait-elle des abonnés ? Des rédacteurs, elle en aurait. Déjà l’extraordinaire floraison de 1830 se faisait jour. Il fallait attirer ces jeunes talens, les retenir ; ce n’était pas un mince travail. « Songez que son recueil était inconnu, dit Henri Blaze, et qu’il n’avait pas d’argent pour payer ses premiers collaborateurs ; aussi, pour des embarras, il en eut, et de gros. Durs commencemens, créer une revue ! Avec beaucoup d’argent, la chose n’est déjà pas si facile, nous en avons l’exemple chaque jour ; mais aboutir

  1. Delécluze, Quarante ans de Souvenirs.
  2. Véron, Mémoires d’un Bourgeois de Paris.