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alors. Là, François Buloz faisait des recherches concernant les célébrités de l’époque, rédigeait des articles et des notices, grimpait des étages, passait des nuits ; il est vrai que tout cela lui rapportait, au bout du mois, cinquante francs, près de 1 fr. 70 centimes par jour, et il devait avoir faim, ayant vingt ans ! Bientôt, cet emploi lui manqua ; il entra alors dans une imprimerie[1]où il apprit le métier de typographe : il y réussit, et devint même un assez habile ouvrier. En 1825, il fut admis à l’imprimerie de l’archevêché comme correcteur. De huit heures du matin à huit heures du soir, le jeune Buloz était chargé de la lecture des épreuves ; tous les livres latins ou français lui passaient par les mains : ce dut être excellent pour compléter ses humanités.

Les journées étaient laborieuses ; bientôt, il utilisa aussi ses nuits en faisant des traductions d’anglais, — on se souvient qu’il avait appris l’anglais. — Il traduisit ainsi The modern Traveller, de Duncan, à raison de 55 francs la feuille in-18, pour l’éditeur Beaudoin en 1829 ; déjà, pour le même éditeur, en 1826, il avait traduit : La Chimie appliquée à la médecine, de Paris.

Ce furent de rudes débuts. F. Buloz habitait alors une chambre mansardée rue de Fleurus, près de Saint-Sulpiçe. Plus tard, directeur de la Revue déjà prospère, il aimait à rappeler ses commencemens difficiles. Volontiers, il allait, avec ses enfans, se promener le soir après dîner, et c’était souvent rue de Fleurus, vers la maison à la mansarde, qu’il conduisait les petits. Du bout de sa canne, il leur montrait la lucarne qui avait éclairé sa chambre pendant ces jours de cruelle misère, et ils étaient saisis d’une respectueuse stupéfaction. Il leur disait son découragement, lorsqu’un soir, en rentrant bien las d’une longue journée de travail, il avait vu un attroupement devant sa maison : les pompiers ! Il y avait un incendie, et un incendie qui commençait par le toit ; sa chambre brûlait, sa chambre et son matelas, tout ce qu’il possédait au monde. Où irait-il passer la nuit ?

On trouvera peut-être que je m’attarde à ces débuts

  1. F. Buloz rencontra là Pierre-Leroux, prote à cette même imprimerie.