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normale, comme l’aîné[1]. Mais il dut sacrifier ce rêve, car l’argent de la succession paternelle s’épuisait, et il lui aurait fallu deux ans d’études encore, des répétitions, et puis… vivre pendant ce temps. Alors il renonça à l’Ecole normale. Il avait dix-huit ans, sept ans de lycée, il avait fait de bonnes études, pas brillantes, mais solides. Il savait beaucoup de choses, mais ce n’est guère quand il s’agit de gagner sa vie.

Et Antoine, le frère aîné ? Ne pouvait-il aider son cadet ? Le frère aîné luttait, lui aussi. Il était d’esprit aventureux et aborda les carrières les plus diverses. Ce normalien fut même, plus tard, directeur de mines ! En 1825, il écrivait un peu, puis il fut présenté à différens personnages, et je ne sais comment il connut tant de généraux : Savary, duc de Rovigo, et aussi Montholon, la famille d’Elchingen, et le général Gourgaud, d’autres encore.

Parmi ces généraux, qui avaient vu les beaux, les merveilleux spectacles de l’épopée impériale, il s’en trouva qui, ne sachant pas les raconter, chargèrent le jeune normalien de rédiger leurs Mémoires avec leurs papiers et leurs notes. J’ai eu entre les mains un très curieux traité passé entre le jeune Antoine Buloz, et un de ces généraux, qui savait mieux, sans doute, manier une épée que tenir une plume… Il est stipulé, dans ce traité, que le normalien écrira les Mémoires du duc de Rovigo avec les renseignemens que celui-ci lui fournira, qu’il se chargera de toute la partie matérielle, le traité avec l’éditeur Bossange, etc. enfin qu’il fera tout, hormis de signer.

L’arrangement est curieux, mais, je crois, assez fréquent ; ce qui est plus surprenant, c’est ce billet que j’ai trouvé dans les papiers d’Antoine Buloz : « Si, par vos amis de Vienne, vous pouvez me faire rendre par l’Empereur mes droits sur le Mont de Milan (ces droits étaient de soixante mille livres de rente), je vous serais bien reconnaissant, etc. » et c’est signé : duc de Rovigo ! Comment ce jeune homme si pauvre, si inconnu, pouvait-il être à Vienne, et auprès de l’Empereur, un appui pour le duc ?… Quoi qu’il en soit, A. Buloz s’occupait des affaires de celui-ci, et il ne devait pas s’en tirer trop mal, car un jour, reconnaissant, Rovigo lui écrit : « Mon cher Buloz, je ne sais pas ce qui m’est destiné, mais si je prends un commandement,

  1. Antoine Buloz entra à l’Ecole normale la deuxième année après sa fondation.