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polonaise ; celle de l’Allemagne est oukranienne, » a-t-on pu dire. Et il est exact tout au moins que les hommes d’État de Vienne, qui, depuis le comte Badeni et même depuis le comte Taaffe, s’appuyaient sur les Polonais, n’avaient, à l’intérieur de la monarchie, que de la méfiance envers les Ruthènes, dont la Prusse vise à se servir depuis Bismarck, et même depuis Frédéric le Grand. Comment, au surplus, n’y aurait-il pas, autour de l’empereur Charles et chez les archiducs, quelque rancune à voir l’Allemagne s’insinuer en Oukraine dans le même instant où elle dissipe sans ménagement le rêve, pourtant suscité ou encouragé par elle, d’une Pologne qu’un lien de famille rattacherait à la couronne autrichienne?

Mais, en attendant que les fruits empoisonnés produisent un jour à venir leurs effets entre les Empires, des dissensions éclatent au-dedans de chacun d’eux. Elles éclatent peut-être un peu trop. A Berlin notamment, à la fin de la première semaine de janvier, on a fait courir le bruit, — qui a été un bien gros bruit, — de la démission de Ludendorff. Le spectacle qu’on nous donnait ainsi, à grand tam-tam, invitait à deux hypothèses: ou bien le parti militariste (car il est de plus en plus évident qu’il y a un parti militariste) était irrité jusqu’à la fureur du tour et de la pente que M. de Kühlmann avait fait prendre aux négociations de Brest-Litovsk; ou c’était une comédie montée par le Grand Quartier général dans l’astucieux dessein de faire croire que les « concessions » accordées à la Russie étaient incompatibles avec la situation militaire « prépondérante » et les intérêts politiques et économiques, comme avec la «dignité» de l’Allemagne. A l’opposé, le parti social-démocrate affirmait, plus haut qu’il ne l’avait fait encore depuis le 4 août 1914, « le droit des peuples à disposer librement d’eux-mêmes. » Entre les deux, ce qui découvre la manœuvre, des pangermanistes même, M. de Tirpitz en personne, par un télégramme de félicitations adressé au comte Hertling, s’ingéniaient à mettre en contradiction le Chancelier avec le ministre impérial des Affaires étrangères. Le Kronprinz, Hindenburg, Ludendorff, sont accourus au signal de détresse, comme ils l’avaient fait dans l’été de 1917 pour secouer et pousser à terre M. de Bethmann-Hollweg. Ces interventions deviennent une habitude, et, si elles se font plus impérieuses, elles sont dans la tradition prussienne : on en vil de telles au lendemain de Sadowa, et à la veille de la déclaration de guerre, en 1870 comme en 1914. Ce n’est pas impunément que les princes vivent plus d’un demi-siècle dans les camps, règnent sous la tente et dirigent la politique par les armes. Les armes sont alors les