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avaient joué le rôle de ce qu’on nomme, à la chasse aux canards, les « appelans. » Par leurs cris, ou par leurs discours, l’Allemagne se flattait d’attirer l’Entente dans les marais de Pinsk, où elle se serait enlizée. L’Europe centrale et ses acolytes, essoufflés, aspiraient secrètement, mais ardemment, à la paix générale. D’où ce délai de dizaine imparti, aux belligérans, à tous autres que la Russie, pour déclarer leurs intentions. Au bout des dix jours de rigueur, personne n’ayant dit mot, force a sans doute été de se contenter d’une paix séparée. Mais les Empires eussent, désiré qu’au moins ce fût une paix russe intégrale. La résistance des pays cosaques, du Caucase, et, en gros, de la Russie du Sud ne leur permettant pas de l’espérer, l’accession de l’Oukraine a été pour eux une aubaine qu’ils eussent payée cher; l’Allemagne plus cher encore que l’Autriche-Hongrie. C’est vers l’Oukraine que sur-le-champ ils ont tourné leurs efforts; c’est vis-à-vis d’elle qu’ils se sont obligeamment montrés enclins à la conciliation, à cause de sa position géographique, de ses ressources économiques, de ce qu’ils s’imaginent pouvoir y introduire et en tirer, de la direction politique qu’il est dans leurs desseins de lui imprimer.

On n’a pas eu trop de peine à s’entendre sur les bases d’un futur accord ; et l’on s’est quitté sur le point de conclure, afin de consulter de part et d’autre les gouvernemens, et en se donnant de nouveau rendez-vous au 29 janvier, pour la signature. A la vérité, les Chancelleries de la Quadruplice ne savent pas très clairement avec qui elles traitent. Ni avec quel État, ni avec quel organe de cet État diffus, encore dans les limbes. La Rada de Kieff est-elle la seule, ou ne dit-on pas qu’il vient de s’en constituer une seconde à Kharkoff ? L’Oukraine elle-même, dans ses données les plus matérielles, dans son aire territoriale, est aussi indéterminée que le royaume promis de Pologne. L’observation que nous en faisons n’a nullement pour objet soit de diminuer la valeur de l’arrangement, soit de réduire la portée de l’événement. Nous n’essaierons pas de nier que, pour toutes les raisons que nous avons dites, position de l’Oukraine dans la Russie du Sud, aux confins de la Bessarabie, tout proche de la Moldavie, richesse agricole, communications et débouchés, ce ne soit, en ce qui nous touche, un événement des plus fâcheux. On aurait dû mettre tout en œuvre pour y parer, pour devancer l’Europe centrale et lui barrer la route. Il nous reste la consolation de penser que l’Oukraine et la Pologne seront, entre l’Allemagne et l’Autriche, aujourd’hui complices, demain rivales, deux pommes de discorde, comme le furent les duchés danois après 1864. « La politique de l’Autriche est