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tout se passa sans trop de mal tant qu’on ne sortit pas de la métaphysique, tant que l’on parla in generalibus, dans un langage un po’ generico, comme il est de règle, et d’usage au début des entretiens diplomatiques. Paix sans annexions, sans indemnité, paix démocratique. Les empires du Centre n’en marchandaient pas les mots aux bolcheviks émerveillés des progrès foudroyans de leur apostolat. Mais il fallut redescendre des nuées d’argent et d’or sur cette misérable terre. M. de Kühlmann, le comte Czernin, d’une voix mielleuse, et, d’une plus rude voix, le général Hoffmann, témoin du grand état-major, porteur de la pensée du maréchal Hindenburg et de Ludendorff, s’expliquèrent. « Sans annexion, c’est-à-dire… Sans indemnité, distinguons… Démocratique, assurément… » Mais, en fait, l’Allemagne considérait d’ores et déjà comme séparées de la Russie, par l’expression spontanée de leur volonté, la Pologne (cela va de soi, puisque, de compte à demi avec l’Autriche, elle l’avait théoriquement constituée en royaume), la Courlande, la Lithuanie, la Livonie, les îles. Si elle ne les déclarait pas tout aussitôt réunies à l’Empire, si elle ne se les appropriait pas dans les formes sommaires et brutales de la conquête, elle ne les rendait pas non plus, ne les lâchait pas, ne desserrait pas sa poigne, refusait de les évacuer. « Pas d’indemnité » signifiait que l’Allemagne ne paierait pas un sou pour les dégâts, pour les ravages causés par l’invasion, mais qu’en revanche la Russie lui rembourserait les frais de nourriture de ses prisonniers de guerre. Quant à « démocratique, » — ah ! citoyens, qui donnerait aux empires et royaumes alliés, à Guillaume II, à Charles Ier, à Mahomet V et à Ferdinand de Cobourg des leçons de bonne et saine « démocratie ? » Personne ne connaît mieux qu’eux ce qui convient à leurs peuples et à tous les peuples, qui n’ont qu’à s’en remettre à leur grâce. Vainement Trotsky a ergoté, la délégation extrémiste a soulevé de ces chicanes d’avocat que les militaires abrègent du tranchant du sabre. Aussi vainement, avec le goût bizarre des illettrés pour les palabres interminables, pour les dissertations à la fois naïves et compliquées, derrière Trotsky, aux côtés de Ioffe et du professeur Pokrovsky, le soldat, le matelot, le vieil homme et la vieille femme se sont entêtés à poser toutes sortes de questions. Deux ou trois entre autres. Par quel procédé régulier les provinces en litige, Courlande. Lithuanie, Livonie, seraient-elles invitées à faire connaître leur volonté ? Quand les troupes allemandes en seraient-elles retirées ? Ne serait-ce pas avant ce plébiscite ou ce référendum qui devait être exempt de toute pression, de toute intimidation même muette ? Ne se