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n’en allait pas plus mal. De même l’écrivain, qui était l’artisan littéraire, faisait sa besogne du mieux qu’il pouvait, et ne pensait, pas que l’univers eût les regards fixés sur lui. Ce sont les philosophes du XVIIIe siècle qui se sont avisés d’être de grands personnages dans l’État, et il n’est que de relire les Mémoires de Marmontel pour constater à quel degré de vanité exaspérée en étaient arrivés les plus minces d’entre eux. Le romantisme ne manqua pas d’emboîter le pas et fit une obligation à l’écrivain d’avoir une destinée exceptionnelle. Les plus grands furent dupes de cette turlutaine. George Sand, ayant décidé d’entrer en littérature, croit nécessaire de quitter son mari, et de venir à Paris dans une mansarde pour y mener la vie de bohème. Balzac clame, tout gonflé de son importance : « Nous sommes les maréchaux de la littérature ! » Th. Barrière a mis au théâtre l’incarnation de cette vanité puérile et professionnelle : c’est le type de Desgenais, le chroniqueur désinvolte et piaffant, père de tous ceux qui pendant trente ans allèrent pieusement chaque soir au perron de Totroni s’offrir à l’admiration des badauds. Nous sommes revenus à plus de simplicité. Nous ne portons plus notre métier en écharpe : nous sommes tout à lui, aux heures qui lui appartiennent : après quoi, nous en parlons le moins possible. Nous tâchons de ne pas mêler indûment notre vie à notre littérature et surtout de ne pas mettre notre littérature dans notre vie. C’est sûrement un progrès.

Quant à la femme qui écrit, elle est, surtout depuis la guerre, de moins en moins une exception parmi nous. Pendant que les hommes se battent, beaucoup de femmes ont pris la plume et toutes ne la quitteront pas après la guerre. Qu’elles ne se croient pas condamnées pour cela à une existence maudite ! Loin d’être bassement jaloux des succès littéraires qu’elles obtiendront, leurs maris, le plus souvent, en seront délicatement fiers, et porteront gentiment les manuscrits chez l’éditeur. Quant aux enfans, ils aimeront leur maman célèbre, comme ils sont secrètement flattés d’avoir une jolie maman. Et bien sûr dans les ménages où la femme écrit, et là comme ailleurs, il y aura de bons ménages et il y en aura de mauvais, mais en vérité la littérature n’y sera pour rien.

Mme Bartel tient avec toute son autorité le rôle écrasant de Claude Bersier et y dépense sans compter toutes ses admirables qualités. Les autres font de leur mieux autour d’elle.


RENE DOUMIC.