Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/708

Cette page a été validée par deux contributeurs.


REVUE DRAMATIQUE
______

Comédie-Française. — La Triomphatrice, pièce en trois actes,
par Mlle  Marie Lenéru.


La gloire est, pour une femme, le deuil éclatant du bonheur… Sur le mot fameux de Mme  de Staël, Mlle  Marie Lenéru a bâti une pièce, à laquelle je ne ferai qu’un reproche, c’est de n’être pas jouée dans un cadre 1830, en costumes du temps. Si la Triomphatrice nous avait été donnée pour la peinture d’un ridicule qui sévit parmi nos aînés en littérature, on aurait pu se plaire à cette évocation d’une mode abolie, comme, à travers les feuillets d’un album, on s’amuse à passer en revue les costumes falots dont s’affublaient nos pères. Si l’auteur avait voulu nous présenter une satire de l’affreux cabotinage qui se déchaîna dans le monde des lettres à l’époque romantique, on se serait prêté volontiers à cette exécution rétrospective. Mais rien n’indique que nous ayons affaire à une comédie historique. Les vêtemens des acteurs sont coupés à la manière d’aujourd’hui. C’est ce qui nous déconcerte et rend la pièce à peu près incompréhensible. Puisque la Triomphatrice est une comédie de mœurs moderne et prétend à peindre le monde littéraire d’à présent, il faut avouer que l’image est étrangement conventionnelle et que le portrait ne ressemble guère.

Claude Bersier est une romancière de génie… Cela seul est déjà bien passé de mode. En dehors de quelques petites chapelles et sociétés d’admiration mutuelle, le génie ne se porte plus guère en littérature : on se contente d’avoir énormément de talent. Tout le monde parle à Claude Bersier de sa gloire, et elle en parle elle-même, ingénument, comme d’un fait acquis, reconnu de tous et qu’elle ne peut feindre d’ignorer. De nos jours, la publicité a tué la gloire littéraire : elle l’a remplacée par la célébrité et par les gros tirages. Mais commençons par raconter la pièce… Le premier acte nous montre,