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mérite charmant, — curieux d’art : il se fabrique des colliers avec des coquilles, des pierres de couleurs, des dents d’animaux ; il dessine et, sur un bois de renne, il grave une chasse à l’auroch. Il n’a que des vertus ? Il va nous ennuyer : pas du tout ! il a ses défauts, ses vices, car il est vain, gourmand, brutal et jaloux : Dans la grotte de Cro-Magnon, le crâne d’une femme est ouvert d’une entaille où s’adapte le mieux du monde le silex d’une hache trouvée au même lieu : c’est un crime, un drame d’amour ; un mari avait inventé, à l’occasion d’une frivole, le « Tue-la ! » d’Alexandre Dumas. N’est-ce pas ? Et Judith Gautier se félicitait gaiement d’avoir les résultats de l’anthropologie à l’appui de son misonéisme.

La transformation japonaise, l’un des plus extraordinaires événemens de l’histoire, l’a désolée, et valait pourtant qu’elle y fût attentive : elle s’en est détournée. Elle en a seulement noté les traits dérisoires. Elle en a senti la grandeur un instant : « Qu’on s’imagine le régime féodal dans toute sa force : un pontife suprême, trop divin pour s’occuper des choses de la terre et laissant gouverner à sa place un officier devenu roi, dont la dynastie se succède au pouvoir depuis des siècles ; des princes vassaux, souverains maîtres dans leurs principautés. Puis, subitement, sans plus de secousses pour le pays que n’en éprouve un vaisseau dont on change l’orientation, les princes, avec un désintéressement inouï, renonçant à leurs fiefs, le Taïcoun déposant ses pouvoirs, le Fils des Dieux devenant un roi constitutionnel ; et la civilisation moderne succédant, sans transition, aux séculaires coutumes d’un peuple fanatiquement conservateur… » C’est beau ! Oui. Et la splendeur des robes japonaises, nos vilains costumes l’ont remplacée. Et nos bottines, ce fut une histoire : les élégans de Tokio revenaient de la promenade les pieds meurtris et leurs bottines à la main. Et les descendans des Samouraïs, en habit noir, les premiers temps! Au bal, à Kioto, l’un d’eux parut, de noir vêtu, le frac, le pantalon, le gilet dit à cœur : « mais il était en chaussettes et le gilet, très échancré, montrait, en guise de plastron, la poitrine velue du daïmio. » Et les âmes sont bouleversées par l’afflux des idées nouvelles. Voici Kono-Guihei, un paysan simple et bon , le héros de l’amour filial dans l’île de la Libellule. Sa mère a mal aux yeux : il a tout essayé, pour la guérir. Un bon vieillard, qui a gardé les secrets et la tradition de la sagesse immémoriale, lui dit : « Il faut faire manger à votre mère un foie humain. » Ce n’est pas un remède qu’on se procure aisément. Kono-Guihei va tuer sa fille, la mignonne Matsoué, quand survient Sougni sa femme. Et : « C’est moi qu’il faut