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C’est une allégorie d’une tout autre envergure que le grand poème du Printemps olympien. Il déroule, en trente-trois chants, une sorte de Divine Comédie, à partir de l’Erèbe marécageux, jusqu’aux cimes « colorées » de l’Olympe, puis sur la terre et dans le ciel où les dieux en vacances courent leurs merveilleuses aventures. Une première rédaction se terminait par des fêtes olympiennes et un triomphe d’Aphrodite que Spitteler a plus tard repoussés à l’intérieur du poème, réservant pour le dénouement la vocation d’Héraklès, vocation héroïque qui nous ramène au thème initial du Prométhée.

Les dieux de Spitteler portent les mêmes noms que dans la mythologie grecque. Des dieux grecs ils ont gardé un caractère général, mais vague, auquel s’ajoutent mille traits qui les font plus individuels et plus humains. C’est une humanité plus forte, plus libre et plus riante que la nôtre, « un cercle noble et choisi de dieux et de déesses sans peur et sans reproche, » une cité divine en marche vers sa destinée, mais aussi une humanité héroïque entraînée par sa fougue juvénile. Si Zeus est le dieu du tonnerre, il est aussi et surtout l’homme d’action, le chef, celui qui réussit, par des moyens grossiers et toujours illégitimes, à s’assurer l’empire du monde ; lourd d’apparence et rustaud, il est pourtant le monarque prédestiné, parce qu’il sait commander et prendre les responsabilités, y compris celle du crime. Une mélancolie germanique pèse sur ce héros de la force brutale et sans joie, que la dure contrainte du Destin a fait ce qu’il est : « ambitieux, triste et grand. » Héra, près de lui, par son orgueil, sa cruauté, sa perfidie, sa violence sauvage et son hypocondrie, est, elle aussi, une déesse du Nord exilée sous le ciel grec, seule mortelle entre les immortels. Mais l’homme d’action peut s’accommoder de cette compagne rebelle et passionnée : « La louve et le loup, dit Héra, peuvent s’aimer d’amour. » La lumière hellénique, au contraire, est à flots répandue sur les figures d’Apollon et d’Artémis, d’Hermès et de Pallas : dieux libérateurs par excellence, dieux de la poésie, de l’intelligence lucide et douce, de l’héroïsme allègre et désintéressé ; déesses qui sont le courage féminin personnifié, la tendresse active et audacieuse, l’enthousiasme pur. Et pour donner à ce panthéon toute la