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devenait le fondateur des Missionnaires du Saint Cœur de Marie, pour l’évangélisation des noirs. Les Pères du Saint-Esprit gémissaient qu’en Afrique, pour cette immense moisson d’âmes nègres où il y avait tant à glaner, les ouvriers fissent si cruellement défaut. Les religieux de Libermann ne leur apparurent pas comme des émules, mais comme des recrues. Bientôt on fusionna, et dans un élan d’énergie reconquise, les Pères du Saint-Esprit, en un demi-siècle, ont promené la foi romaine du Sénégal à l’Orange et de Zanzibar à la Guinée : dans cette immense étendue, 198 581 chrétiens et 53 621 catéchumènes composaient en 1917 leur troupeau. De çà, de là, nos Missions africaines de Lyon, nos oblats de Saint-François de Sales de Troyes, nos oblats de Marie Immaculée, à côté de quelques autres instituts d’origine étrangère, donnent leurs soins à de petites chrétientés, qui tantôt semblent faire enclave dans le vaste royaume noir de nos Pères du Saint-Esprit, et qui tantôt ont l’air de monter la garde à ses frontières. Et tandis, que, par le Sud-Ouest et le Sud, les Pères du Saint-Esprit assiègent le centre mystérieux du continent noir, les Pères Blancs de Lavigerie, là-haut dans le Nord, trouvent le moyen de l’atteindre.


X

A l’arrière de cette Tunisie où Lavigerie, protégé par nos trois couleurs, faisait ressusciter par Léon XIII l’antique Église de Carthage ; à l’arrière de cette Algérie où, défiant l’imbrisable intégrité de l’Islam, il échafaudait quelques villages d’Arabes chrétiens ; à l’arrière de cette Kabylie où ses Pères Blancs commençaient de disputer à Mahomet l’âme des Berbères, Lavigerie plongeait au loin, sur l’Afrique obscure, un regard ambitieux et miséricordieux. Il ne voulait pas que l’audace du Christ demeurât en arrière sur celle des explorateurs qui, eux, étaient déjà entrés ; il ne voulait pas que là-bas, au-delà du désert, un pauvre bétail humain continuât d’être enchaîné, vendu, mangé parfois. Il y a là cent millions d’habitans, écrivait-il à Pie IX ; il rêvait « d’un grand coup, qui déciderait de l’avenir religieux. »

Il comptait sur ses Pères Blancs, sur ses Sœurs Blanches, pour attester le génie civilisateur du christianisme devant un monde païen qui ne l’avait jamais connu et devant un monde