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France bénédictine commence avec lui. Saint Norbert, le Rhénan, vient établir en France, près de Laon, son ordre de Prémontré. Saint Bruno, un autre Rhénan, s’imprègne de notre culture et de notre esprit monacal avant de fonder, en France même, la Chartreuse. Il y avait de la place, en Germanie, pour ces deux plantations ; mais c’est au sol de France que Norbert et Bruno viennent les confier ; et lorsque cent ans plus tard le grand arbre Prémontré couvrira déjà de son ombre l’aride Germanie, ce ne sera pas un arbre indigène ; à jamais une sève française l’aura vivifié. L’Espagnol Dominique, jaloux d’organiser au service de Dieu la parole humaine, recrute seize compagnons : à côté de sept Espagnols et d’un Anglais, huit sont des Français ; et la petite troupe, par ses soins, est tout d’abord mise à l’école, en France, — l’école, c’est l’université de Toulouse, — tandis qu’en France encore, à Prouille, il ouvre un monastère où des Françaises prieront pour ses desseins.

Au même moment, les pèlerins qu’attire à Rome le prestige d’Innocent XII se heurtent, sur le parvis de Saint-Pierre, à un jeune homme qui demande l’aumône en français. Fils d’une Provençale et d’un marchand d’Assise qui s’en fut souvent au-delà des monts, il s’appelle Franciscus ; et son biographe Celano dira plus tard de lui, en parlant de l’amour qu’il inspirait à la France : « Il fut vraiment Franciscus, puisque en lui plus que chez tous les autres battit un cœur noble et franc, » (cor francum et nobile). Cette mendicité devant Saint-Pierre inaugure sa vie nouvelle ; une allégresse émue le transporte, il parle français. A tous les instants décisifs de son existence, la langue qui jaillit de ses lèvres est le français : fugitif au fond de la forêt, c’est en français qu’il chante Dieu, pour le remercier d’avoir mis entre sa famille et lui cette barricade verdoyante et touffue ; survenant dans une taverne, parmi ses anciens compagnons de jeunesse, pour y quêter de quoi entretenir les lampes de sa chapelle, c’est en français, « presque ivre de l’Esprit, » qu’il les sollicite ; et c’est en français, gallice clara voce, qu’il annonce à tout venant que des Clarisses, bientôt, habiteront Saint-Damien. Il chantait en français sur le Seigneur, dit joliment Celano ; et lorsque l’Esprit l’exaltait, il laissait sourdre de ses lèvres d’ardentes paroles en français, ardentia verba foris eructans gallice loquebatur.

A la Pentecôte de 1217, dans la chapelle de la Portioncule,