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d’Annam. Parmi eux, soixante-sept sont des indigènes, qui joyeusement s’offrirent comme prémices de leur race. Les dix autres sont des Européens, et ces Européens sont tous des Français, un Lazariste et neuf prêtres des Missions étrangères.

Pie X à son tour, en 1909, veut derechef attester au monde la vie profonde de l’Eglise : il relève encore en Extrême-Orient le témoignage qu’il cherche, celui qu’apportent des martyrs. Les héros qu’il glorifie sont au nombre de trente-trois, dont vingt-neuf sont Chinois ou Annamites et dont quatre, venus d’Europe, sont d’authentiques Français. Dans ces deux pompes vaticanes qui fêtent la sanglante aurore de chrétientés nouvelles, la France surgit et plane, toute seule, bien à part, comme ayant été pour ces chrétientés, au cours du XIXe siècle, la messagère des droits de Dieu, messagère exigeante, qui pour ces droits osa demander du sang, et qui l’obtint, et qui mêla son propre sang à celui qu’elle demandait. Le geste des deux Papes ratifie le vieux mot de l’empereur Louis II : la France est toujours le pays qui en convertit d’autres, en leur apportant le salut.

Elle était cela, même avant les Francs : n’oublions jamais, en parlant de nous-mêmes, d’honorer en nous ce fonds gallo-romain, dont Fustel de Coulanges a marqué l’importance et la pérennité. Il y a de beaux types d’apôtres dans notre antique épiscopat gallo-romain : tel ce Victrice, évêque de Rouen, à qui saint Paulin de Nole écrivait : « Grâce à vous, la Morinie, ce pays qui est à l’extrémité du monde, se réjouit de connaître le Christ et dépose ses mœurs sauvages. Le Christ a voulu que vous en fussiez le missionnaire, » La Morinie, c’était l’Artois. Les « extrémités du monde » ont reculé ; mais à mesure qu’elles reculaient, le verbe français avançait. Il semble que le souvenir laissé par, saint Martin, l’apôtre des Gaules, et dont témoignent, de ce côté-ci du Rhin, 3 672 paroisses et 485 localités portant son nom, ait de bonne heure encouragé la France à faire rayonner le Christ en rayonnant avec lui.

Tous les grands fondateurs d’ordres, qu’ils vinssent d’Italie, d’Espagne ou d’Allemagne, ont senti qu’ils avaient besoin de la France, et de quel prix pouvaient être, pour l’avenir, de leur œuvre, des vies françaises et des morts françaises. L’une des premières pensées de saint Benoit, qui dans sa solitude d’Italie rêve de civiliser le monde, est d’avoir recours à la France : il y envoie saint Maur, et l’histoire merveilleusement riche de la