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Les principicules allemands des XVIIe et XVIIIe siècles, dispensés par Martin Luther d’avoir à loger Dieu confortablement, s’occuperont de se loger eux-mêmes, à l’imitation du Grand Roi, et leurs palais singeront Versailles ; au moyen âge, la ville ou le chapitre d’Allemagne qui veulent loger Dieu jettent un regard vers nous, pour nous imiter, et parfois pour nous appeler. On nous convoque, même, pour la bonne installation des saints : la fameuse châsse des rois mages, à Cologne, est l’œuvre d’un orfèvre français dont le nom est devenu une noblesse, Nicolas de Verdun.

La décoration de l’église, telle que nos artistes la concevaient et la transportaient à l’étranger, était une perpétuelle leçon de doctrine : leur art était un catéchisme. On ne croit plus aujourd’hui que ces sculpteurs du moyen âge aient cherché dans l’art je ne sais quel exutoire pour la « pensée libre » ou pour la « pensée démocratique, » opprimées ou mortifiées : ce sont là niaiseries romantiques. Les encyclopédies théologiques du moyen âge, tout au contraire, trouvaient dans ces artistes leurs traducteurs populaires, et c’est sous le contrôle de la Mère Eglise que nos « ymagiers » de France écrivaient pour le peuple, avec leur ciseau de sculpteurs, de grandes pages de théologie, plastiques et vivantes. Il faut lire, dans l’ouvrage capital de M. Emile Mâle sur notre art religieux du treizième siècle, comment la cathédrale de Chartres, avec ses dix mille personnages, était « la pensée même du moyen âge, devenue visible ; » comment la cathédrale d’Amiens annonçait aux foules l’avènement prochain d’un Sauveur, et comment celle de Paris ramenait vers la Vierge tous les regards et toutes les pensées, comment celle de Bourges célébrait les vertus des saints. Ces sculpteurs étaient à leur façon des docteurs, — docteurs enseignés par l’Église enseignante ; et leur langue si originale, interprète de la révélation faite par Dieu à la communauté humaine, devenait une langue commune, par laquelle Dieu parlait à toutes les âmes priantes, dans les plus belles églises de toute la chrétienté.

Parfois cependant, notre vieil art religieux, à quelque universalité qu’il aspirât, prenait licence de parler discrètement aux chrétiens de France de ce qu’avait fait la France, mais uniquement de ce qu’elle avait fait pour l’Eglise : les pelletiers de Chartres donnaient à la cathédrale un vitrail, représentant les légendaires croisades de Charlemagne ; une verrière, à