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Chargé, au Prado, son cœur battait d’une émotion qu’il s’efforçait en vain de réprimer. Que serait devenue, depuis ces quatorze mois d’absence, l’enfant sublime dont il avait voulu oublier l’âme ardente ? Elle avait maintenant quinze ans, et, sans doute, ses élans candides étaient étouffés par les petites passions et les petites prudences de la vie mondaine ; sans doute, il ne comptait plus dans ses rêves. Mais non ! Plus belle, plus ravissante que jamais, dans ses grâces de femme qui commençaient à fleurir, elle lui laissa ressentir la douce chaleur de la flamme qui brûlait toujours en elle. Le lumineux regard, qui s’était si souvent posé sur le sien avec une expression si éloquente, lui dit que rien n’était changé dans son âme. Elle causait seulement davantage, et sa parole, plus confiante, moins timide, lui révélait encore combien elle l’avait suivi et compris, à tous ses pas, depuis qu’il l’avait quittée.

Il fut enivré et eut bien de la peine à réprimer l’élan passionné de tendre reconnaissance qui faisait frissonner tout son être. Presque tous les jours, pendant la huitaine qu’il passa encore à Marseille, appelé au Prado par les affectueuses invitations de M. et Mme Chargé, il la vit, et, à son bonheur, à son émoi, aux espérances et aux désespérances qui tour à tour l’agitaient quand il se voyait, lui si déshérité et condamné à de si âpres luttes, auprès d’elle si rayonnante et si aimante, il comprit combien il l’aimait.

Il se mit en route pour l’Italie, en proie à un trouble inexprimable, tantôt se sentant assez fortifié par sa foi en celle qu’il aimait pour affronter et vaincre tous les obstacles, tantôt, épouvanté par ces mêmes obstacles, se persuadant qu’elle l’oublierait avant qu’il en fut venu à bout, et tour à tour se reprochant ou se félicitant d’avoir été si rigidement maître de ses manifestations qu’elle ne pouvait se douter de sa passion, et ne saurait jamais à quel point elle était l’étoile de sa route.


M. TH. OLLIVIER.